"Homme sans honneur", "minable", devenu la "honte" du Parti socialiste après avoir subi une "déchéance de crédibilité" : en annonçant qu'il voterait pour Emmanuel Macron à la présidentielle, Manuel Valls s'est attiré les foudres d'une grande partie de sa famille politique. L'ancien Premier ministre devait s'y attendre. Lui qui avait critiqué vertement les ambitions personnelles du fondateur d'En Marche!, lui qui avait promis de se ranger sagement derrière Benoît Hamon, incontestable vainqueur de la primaire de la gauche, vient d'opérer un demi-tour tonitruant. Si elle lui coûte beaucoup politiquement, Manuel Valls espère bien que cette décision lui rapportera au moins autant.
Rempart contre le FN. Officiellement, ce ralliement n'en est pas un. "C'est une prise de position responsable", a justifié le perdant de la primaire sur BFM TV mercredi matin. "Je pense qu'il ne faut prendre aucun risque pour la République." Selon celui qui ne participera pas à la campagne d'Emmanuel Macron, le fondateur d'En Marche! est simplement le mieux placé, à gauche, pour faire barrage à Marine Le Pen.
L'argument n'a rien d'étonnant dans la bouche de Manuel Valls, viscéralement opposé au Front national. Fils d'un républicain catalan, l'ancien Premier ministre a toujours fait de ce combat une priorité. Farouche partisan du front républicain en cas de deuxième tour droite/FN, il s'était illustré, lors des régionales 2015, par ses paroles très dures contre le parti de Marine Le Pen. Dans ce contexte, voter pour un Emmanuel Macron qui semble mieux placé pour se qualifier au second tour contre la présidente du Front national, plutôt que pour un Benoît Hamon désormais placé quatrième dans les sondages, n'est pas complètement illogique.
Peser dans la future majorité... Mais ce choix relève aussi du calcul politique. Certes, Manuel Valls assure qu'il "ne demande rien" en échange de son vote pour Emmanuel Macron. Cela ne l'empêche pas de penser déjà aux prochaines législatives. "La responsabilité des réformistes est de participer à une majorité cohérente", a-t-il glissé. Autrement dit, l'ancien Premier ministre compte bien peser dans cette future majorité en cas de victoire du candidat En Marche!.
" La responsabilité des réformistes est de participer à une majorité cohérente. "
…Mais ce n'est pas gagné. À première vue, cela semble compliqué. Emmanuel Macron, qui avait déjà prévenu qu'il n'avait "pas ouvert une maison d'hôtes" après les premières rumeurs de ralliement de Manuel Valls, a "remercié" l'ancien Premier ministre de son soutien tout en maintenant la porte bien fermée. "Je serai le garant du renouvellement des visages, des pratiques", a-t-il réaffirmé sur Europe 1 mercredi matin. Pas question de gouverner avec l'homme du 49.3, qui porte le poids de l'héritage du quinquennat et a cristallisé une opposition de gauche.
Pour les législatives aussi, le ton est très ferme. Mardi, le fondateur d'En Marche! a prévenu que tous candidats désireux d'être investis, à l'exception de ceux appartenant au MoDem, devraient "se rattacher politique et administrativement à [sa] majorité présidentielle", et ne pourraient donc pas bénéficier de l'étiquette d'un autre parti. Or, Manuel Valls n'a pas quitté le PS et n'envisage pas non plus d'en être exclu. "Moi ? Par ceux qui n'ont respecté aucune règle pendant cinq ans ? Il est assez drôle de recevoir des leçons de trahison de ceux qui ont voulu faire voter des motions de censure contre leur propre gouvernement."
Anticiper une "recomposition politique". Si l'ancien Premier ministre ne perd pas espoir de reprendre la main et de se tailler une place de choix dans la prochaine majorité, c'est qu'il anticipe que, bon gré mal gré, Emmanuel Macron devra mettre de l'eau dans son vin. L'ancien ministre de l'Économie vise une "recomposition politique" qui rassemblerait les "bonnes volontés" de droite comme de gauche. Entreprise difficile, veut-on croire dans l'entourage de Valls, sans élus déjà connus, politiquement identifiés et disposant de soutiens.
Ce pourrait être là la chance de l'ancien Premier ministre, habitué à être relativement isolé au sein de son parti. Alors que le PS se déchire, une explosion du parti pourrait lui permettre de se positionner à la tête du courant "réformiste". Avec tout de même le risque, comme l'explique l'un de ses anciens partisans à Libération, de devenir "le petit chef d'un grand rien".