Dénonçant "anachronismes", "manichéisme" et "vide" de preuves, la défense a plaidé mercredi la relaxe au procès en appel du volet financier de l'affaire Karachi, un dossier dans lequel la cour rendra sa décision le 21 janvier 2025. Six hommes étaient rejugés depuis le 3 juin pour abus de biens sociaux, complicité ou recel, dans un pan de cette affaire tentaculaire qui remonte à trois décennies. En cause: des commissions, alors légales, versées en marge de contrats de frégates et de sous-marins signés en 1994 avec l'Arabie saoudite (Sawari II) et le Pakistan (Agosta).
Le tribunal, qui a prononcé en 2020 des peines allant de deux à cinq ans d'emprisonnement, a estimé que le pouvoir politique avait, à l'époque, imposé un réseau d'intermédiaires "inutiles" qui ont touché des commissions "exorbitantes". Et une partie de ces commissions est revenue en France sous forme de rétrocommissions, cette fois illégales, notamment pour alimenter la campagne présidentielle finalement perdue d'Edouard Balladur en 1995, selon la juridiction de première instance. Une version combattue encore une fois au seuil du second procès par la défense, qui a plaidé longuement la relaxe mardi et mercredi, d'abord en invoquant la prescription et une durée "déraisonnable" de la procédure.
"Je voudrais mettre en garde la cour contre les dangers des anachronismes", a plaidé Me François Esclatine, avocat de Thierry Gaubert, faisant valoir la "difficulté à justifier de faits extrêmement anciens", avec "le dépérissement des preuves, la mémoire des gens". Les avocats se sont pour certains appuyés sur le réquisitoire de l'accusation qui, dans un contrepied lundi, a estimé que le lien entre les rétrocommissions et la campagne Balladur ne pouvait être "établi".
"Juger une image"
Les avocats généraux ont ainsi requis la relaxe de Nicolas Bazire, l'ancien directeur de campagne, en "cohérence" avec la décision rendue par la Cour de justice de la République (CJR), qui en 2021 a relaxé Edouard Balladur - mais condamné son ancien ministre de la Défense François Léotard. Le ministère public a néanmoins réclamé des sanctions pour la mise en place d'un système de "prédation" via l'imposition d'intermédiaires surnuméraires qui ont touché des commissions "disproportionnées", au détriment de deux entités détenues par l'Etat (la DCNI et la Sofresa) qui vendaient les armements.
Des peines allant de deux à quatre ans de prison avec sursis, et de 40.000 à 60.000 euros d'amende, ont été requises contre Thierry Gaubert, alors au ministère du Budget et impliqué dans la campagne ; Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller de François Léotard ; Dominique Castellan, ex-patron de la DCNI. Me Antoine Vey a dénoncé le "manichéisme absolu" dans un dossier où les faits ont selon lui été "reconstruits" a posteriori. Le conseiller de Léotard a fait "circuler l'information" au sein du cabinet du ministre mais il n'a pas "imposé" le réseau d'intermédiaires, a plaidé son avocat. Que ce réseau "ait été déterminant, que sans eux il n'y aurait rien eu, on peut discuter du sexe des anges" mais "bien sûr, ils ont été utiles", a-t-il insisté.
Pour Me Frédéric Landon, l'un des conseils de Nicolas Bazire, "ce dossier a été monté à l'envers". "On est parti du postulat que la campagne de Balladur avait été abondée par des fonds qui ne pouvaient provenir que de rétrocommissions. Et on a tout fait pour faire entrer le reste dans cette phrase péremptoire", a-t-il estimé. Son autre avocate, Me Jacqueline Laffont, a assuré que l'hypothèse des "fonds secrets" de Matignon (de l'argent liquide à l'époque distribué dans les ministères sans justification), pour la première fois invoquée à la barre par M. Bazire, était "plus que vraisemblable".
Le ministère public a réclamé cinq ans de prison dont deux ferme contre Abdul Rahman al Assir et cinq ans ferme contre Ziad Takieddine, les deux intermédiaires. Me Matthieu Hy a dit sa "crainte" que la cour "ne juge une image", le "Takieddine flamboyant des années 1990, qui nous a semblé caricaturé. (...) Le temps qui passe permet finalement de créer une sorte de brouillard et de dire un peu ce qu'on veut sur lui, trente ans après".