Il y a 39 ans, jour pour jour, Margaret Thatcher devenait Premier ministre du Royaume-Uni, poste qu’elle allait conserver pendant plus d’une décennie. Un anniversaire qui a donné, semble-t-il, des idées de comparaison à de nombreux commentateurs politiques, qui se sont risqués ces derniers jours à évoquer la dame de fer, icône conspuée du libéralisme, pour fustiger la politique économique et sociale d’Emmanuel Macron. Mercredi, c’est une figure de la droite qui a sonné la charge, dénonçant "la tentation thatchérienne" du chef de l’Etat. Dans les colonnes de L’Express, Xavier Bertrand cible la brutalité de la politique économique d’Emmanuel Macron : "À tout prendre, je préfère encore Blair à Thatcher. Bien sûr, il faut créer de la richesse avant de la redistribuer. Mais on peut être libéral et social", déclare-t-il.
Le nouvel "homme de fer". Jeudi matin, Jean-Luc Mélenchon, y est aussi allé de son coup de griffe. Sur BFMTV, le leader de la France insoumise a répondu aux attaques formulées implicitement par le président à son égard, en marge des violences qui ont émaillé le 1er mai. "Monsieur Macron a décidé de faire Thatcher ! Il veut affronter le mouvement syndical et faire basculer notre société dans autre chose", a dénoncé le tribun, dans une référence à la longue bataille qui a opposé la dirigeante et les syndicats lors des grèves des mineurs de 1984 et 1985.
S’appuyant également sur un contexte social particulièrement tendu, la presse britannique a elle aussi tenté ce rapprochement, mais sur un mode plutôt laudatif. "La France a-t-elle trouvé son Thatcher ?", interroge The Week dans son numéro du 14 avril. Sur la couverture, le président apparaît grimé en Margaret Thatcher, repoussant à grands coups de sac à main l’assaut de manifestants munis d’une banderole de la CGT. "Peut-être espère-t-il ressembler à Margaret Thatcher et apparaître comme un réformateur résolu", commente l’hebdomadaire qui évoque la fermeté du chef de l’Etat face aux grévistes de la SNCF et aux blocages dans les universités. "Le moment Thatcher de Macron est arrivé", titre pour sa part The Spectator qui estime que "si Emmanuel Macron sort intact du printemps et de l’été, il aura gagné le droit de s’appeler ‘l’homme de fer’".
Un symbole du libéralisme, à l'heure du protectionnisme. Un parallèle que l’intéressé a lui-même donné l'impression de cultiver dans son interview à Forbes mercredi, où il s’affiche en champion toute catégorie du libéralisme : "Leader of the free markets". Défendant sa politique de flexibilité économique, il lâche ainsi un "There is no other choice" (il n’y a pas d’autre solution) qui n'est pas sans évoquer le "There is no alternative" (il n’y a pas d’alternative) de Margaret Thatcher. Un pur hasard, nous explique pourtant l’Elysée, qui assure que "le président ne s'en réfère jamais à Thatcher". Quand bien même cette phrase, glissée dans un média anglo-saxon à l’heure où Donald Trump agite le drapeau du protectionnisme, sonne comme un clin d’œil aux investisseurs étrangers. "Il joue avec ça. Depuis le début, Emmanuel Macron est le seul président, depuis de Gaulle, qui pense à l’image internationale de la France. Il veut en incarner l’attractivité", relève auprès d’Europe 1 Philippe Moreau-Chevrolet, communicant et président de MCBG Conseil.
Des réformes moins brutales. Sur le plan de la politique intérieure, Bruno Cautrès politologue et chercheur au CEVIPOF, ose auprès d'Europe 1 quelques comparaisons, "toutes proportions gardées bien sûr". Et notamment les privatisations lancées sous Thatcher que l’on peut rapprocher, en France, de celle annoncée de la Française des jeux, voire de la mise en concurrence de la SNCF, dénoncée par l’opposition comme un premier pas vers une privatisation du service public. Margaret Thatcher avait d’ailleurs vendu une partie des activités du British Rail, qui sera complètement transféré vers le secteur privé par ses successeurs.
Dans le détail, une seule mesure évoque directement la dame de fer. Elle figure dans le projet de loi Elan sur le logement : faciliter la vente de HLM. Ce que Ian Brossat, adjoint PCF à la mairie de Paris, n’a pas manqué de dénoncer dans un tweet : "Chirac et Tibéri le faisaient déjà. Thatcher l'a fait en Grande-Bretagne dans les années 80. Le nouveau monde puise ses recettes dans celui d'hier". "La comparaison s’arrête certainement là", tempère Bruno Cautrès qui tient à replacer la politique de la dame de fer dans un contexte bipolaire, où l’affrontement entre le marxisme et le libéralisme est encore très marqué. "Ces réformes ont attaqué de manière bien plus forte le système britannique que ce qu’a fait Macron jusqu’à présent".
Mais pour Philippe Moreau-Chevrolet, le style Macron, au-delà des décisions, "porte indéniablement la signature du Thatchérisme". "Il pratique une politique du bras de fer permanent pour pouvoir avancer, car il sait que le compromis, avec les syndicats notamment, n'est pas compatible avec la thérapie libérale qu'il entend injecter à la France". Là encore l'Elysée ne voit pas le rapport : "La méthode du gouvernement consiste à organiser une concertation avant de lancer la réforme. Ça n'était pas vraiment le cas avec Thatcher".
Une référence à manier avec précaution. On comprend que la comparaison puisse fâcher, car c’est d'abord un épouvantail qu’agite l'opposition en citant Thatcher, une référence devenue quasi-systématique lorsqu'il est question de libéralisme. "Son image en France reste très négative, elle incarne les dérives d’un capitalisme autoritaire et jusqu’au-boutiste", explique Bruno Cautrès. Le politologue rappelle que pendant la campagne présidentielle, c’est le candidat Les Républicains, François Fillon, qui avait été taxé de thatchérisme, avec notamment ce morphing de Libération, faisant apparaître en Une le vainqueur de la primaire de la droite, affublé de l’inébranlable tignasse laquée de l’ "Iron Lady". Une comparaison que le Sarthois avait pourtant repris à son compte sur notre antenne. "Margaret Thatcher a été élue trois fois, elle a fait trois mandats successifs, alors que c’était une femme extrêmement impopulaire comme chacun sait", avait-il pointé. Ironie de l'histoire, comme le rappelle notre spécialiste, c'est peut-être aussi parce qu'il entendait passer le service public "à la paille de fer" et administrer un remède de cheval à la Sécu que François Fillon avait commencé à marquer le pas dans les sondages, avant même que n’éclate le Penelopegate.