Pour ceux qui peuvent s’appuyer sur une pilosité fournie, laissez grandir vos bacchantes. C’est le moment et c’est surtout pour la bonne cause. Le mouvement Movember, depuis 2003, incite les hommes à se laisser pousser la moustache pour "changer le visage de la santé masculine" et récolter des fonds pour lutter contre les cancers de la prostate et des testicules. Cette manifestation est-elle vraiment efficace ou est-elle uniquement un gadget de communication ?
Pour mieux comprendre Movember, revenons d’abord à sa source. En 2003, une bande de copains, accoudés dans un bar de Melbourne, décide de lancer le mois de la moustache. Le nom s’impose assez rapidement : Movember nait de la contraction entre "Mo" (moustache en argot australien) et "November". Le concept plaît bien et de nombreuses questions apparaissent très rapidement sur l’utilité d’une telle manifestation. Le groupe d’amis, la moustache légèrement broussailleuse, veut briser le silence sur les maladies masculines, souvent méconnues, voire taboues. Le cancer de la prostate est la première cible. Movember y associera plus tard la lutte contre le cancer des testicules.
"Un mois pour casser les couilles des gens pour une noble cause"
L’opération prend très vite dans les pays anglo-saxons. Des fonds sont collectés et le bouche à oreilles fonctionne à merveille. En 2012, la France s’y met et lance sa plateforme de participation. Onze ans après sa création, le mouvement Movember est un succès. 21 pays y participent désormais et près de 410 millions d’euros ont déjà été collectés et redistribués dans 800 programmes.
Basile a 22 ans et depuis trois ans, au mois de novembre, il a pris soin de ne rien couper sous son nez. "J’ai découvert cette initiative quand j’étais en échange à Cambridge, en Angleterre", raconte à Europe 1 ce jeune étudiant à Sciences-Po Paris. "J’ai trouvé l’idée très amusante et je me suis senti encore plus concerné après avoir perdu un ami d’un cancer des testicules". Depuis, il demande à ses amis et collègues de subventionner sa page Movember. "Un mois par an, je casse les couilles des gens pour les sensibiliser à une noble cause", plaisante-t-il. L’année dernière, il a réussi à collecter 230 euros à lui seul. Et cette année, il va essayer de centraliser ses frères de moustache ("Mo-Bro") pour mieux collecter les dons.
>> Comment participer à Movember ? La réponse ici en vidéo :
"C’est très symptomatique de notre époque où le corps est souvent mis en avant pour défendre une cause", estime Gérard Demuth, sociologue spécialiste de l’évolution des mentalités. "La mise en scène n’est pas seulement propre aux médias. Chacun d’entre nous se met en scène", abonde François Jost, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de la Sorbonne. Mais pour être bien entendu, il faut savoir se montrer, explique François Jost qui compare Movember à l’Ice Bucket Challenge, qui consiste à se renverser un seau d’eau glacée pour récolter des dons pour lutter contre la maladie de Charcot. "Il y a énormément de sollicitations pour des causes très nobles. Il faut donc trouver des éléments qui soient suffisamment originaux pour toucher le plus large public".
Movember a très bien compris comment marche le buzz et l’alimente à merveille. Pour que votre cause devienne virale, prenez quelques personnalités. Laissez-leur pousser une jolie moustache, filmez, postez la vidéo sur le net et laissez agir. En 2012, le musée Tussaud a ainsi réussi un joli coup en posant une glorieuse façon Tom Selleck à la statue de cire du Premier ministre britannique David Cameron (photo). En France, parmi les 19.000 participants déjà enregistrés sur le site en 2014, plusieurs noms bien connus du grand public. Six clubs du Top 14 possèdent déjà leur page Movember et se mobilisent pour la bonne cause.
Mais au-delà du côté folklorique assumé et des fonds collectés, le mouvement est-il vraiment efficace ? Si Mark Leruste, responsable de Movember France, insiste sur les projets de recherche déjà financés, il rappelle surtout la nécessité de sensibiliser le public masculine à sa propre santé. "On veut que les hommes changent la manière d’aborder leur santé, qu’ils s’ouvrent un peu plus, qu’ils aillent voir plus souvent leurs médecins et qu’ils étudient davantage leurs antécédents médicaux". Chiffres à l’appui, il cite les 40.000 nouveaux cas de cancer de la prostate et 2.300 nouveaux cas du cancer des testicules.
"On ne veut pas soutenir Movember"
Un peu de légèreté donc pour aborder des sujets graves. "Mais il y a quand même des règles", insiste Mark Leruste qui ne plaisante pas avec la tailles des bacchantes. Pas question que la moustache rejoigne les pattes ni qu’elle vienne taquiner le bouc. Pas question non plus de confondre Movember avec la mouvance hipster. "La moustache qu’arborent les Mo-Bro est vraiment symbolique", rappelle le responsable de Movember France.
Pour comprendre la différence en #Movember et un #Hipsterpic.twitter.com/I0neoHqHJU— Du pasquier Guillaum (@kook_91) October 31, 2014
Movember rassemble mais il divise aussi quelque peu. L’institut national du cancer (INCa) ne souhaite pas soutenir ni parrainer Movember. "Nous sommes assez mitigés sur ce mouvement", nous explique la présidente de l’INCa, Agnès Buzyn. "Il est toujours bien de sensibiliser les hommes sur les risques de cancer. Ça, c’est une très bonne chose. Mais nous sommes beaucoup plus prudents sur le dépistage du cancer de la prostate car nous savons qu’ils exposent les hommes à un risque de surdiagnostic". Dans 50% des cas de dépistage, ce risque existe. Un homme fait un examen et on lui diagnostique un cancer de la prostate sans pouvoir en connaître la gravité. "Il existe dans ces cas un risque grave de surtraitement", prévient Agnès Buzyn.
"Grâce à Movember et aux différentes évaluations qu’on a pu faire, on a identifié plus de 120 types de cancers de la prostate", se défend Mark Leruste, responsable de Movember France. "Avec les fonds récoltés, on investit dans la recherche médicale pour essayer de trouver les traitements les mieux adaptés". Insuffisant pour l’INCa. Du moins pour le moment. "Nous aimerions pouvoir les soutenir mais leurs messages ne sont pas encore assez prudents", estime sa présidente qui ne recommande pas le dépistage du cancer de la prostate. Et de conclure : "ce dépistage doit donc faire l’objet d’une information éclairée. Pour que les hommes comprennent bien les bénéfices mais aussi les risques qu’ils encourent et notamment un risque de traitement inutile".