A l’hôpital Ambroise Paré de Boulogne, en région parisienne, les équipes semblent exténuées. Malgré les masques, les blouses, ou les charlottes sur le dessus du crâne, la fatigue se lit dans les yeux du personnel. "J'ai eu une semaine de vacances, je ne me sens pas reposée. On est très fatigué", soupire Magali, aide-soignante. "Au début, on était tous soudés. On avait très envie de donner le meilleur de nous-mêmes pour passer ce moment difficile. Et aujourd'hui, un an après, on a donné tout ce qu'on avait à donner", affirme Julie, également aide-soignante au service réanimation, faisant le même constat.
Un an jour pour jour après le premier mort du coronavirus en France, le 14 février 2020, Europe 1 a donné la parole à ces soignants au bout du rouleau dans l'émission Tout terrain.
Sentiment d'abandon
Les soignants sont en effet à pied d’œuvre depuis mars 2020. Ils disent "ne pas voir le bout" de l’épidémie... comme tous les Français. Mais à la différence de ces derniers, les hôpitaux sont les premiers à constater les dégâts causés par le Covid. "Là, ça devient compliqué", souffle Julie. Les établissements hospitaliers n’ont plus de renforts et ne peuvent plus recourir à l’aide des autres régions. A titre d’exemple, le service de réanimation de l’hôpital de Boulogne comptait 180 personnes en avril dernier contre 90 actuellement. Pourtant, les malades continuent d'affluer.
Lors du premier confinement au printemps, les Français témoignaient de leur soutien aux soignants en applaudissant à leur fenêtre chaque soir à 20 heures. Le temps passant, les encouragements se sont faits plus discrets jusqu’à s’arrêter. "Ça faisait plaisir, forcément. Mais aujourd'hui, on ne parle plus de nous", estime Julie. "Pourtant, c'est encore plus difficile maintenant. On tient sur la longueur, mais on est à bout de souffle." Comme elle, beaucoup de soignants ont le sentiment d’être oubliés.
Ce manque de considération s'ajoute à la fatigue et accentue la pression sur les effectifs. "Nous passons énormément de temps à réajuster nos plannings, à chercher des remplaçants", affirme Geneviève Boyer, cadre de santé au service réanimation de l’hôpital Ambroise Paré. Aux soignants positifs au coronavirus s’ajoutent ceux qui sont épuisés. Les absences font perdurer le stress au sein des équipes, inquiètes de savoir si elles seront au complet les jours suivants. "Pour les personnels, c'est aussi beaucoup d'angoisse. Leur crainte [c’est qu’ils] soient dans l'obligation d'assurer leur service avec une personne en moins. Ça les inquiète beaucoup."
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Hausse des contaminations de soignants
En effet, les contaminations flambent ces dernières semaines dans les hôpitaux. De nombreux clusters émergent, alors même que la première vague les avait plutôt épargnés, sans que les médecins ne comprennent vraiment pourquoi. "C'est extrêmement difficile de savoir exactement où les personnels se sont contaminés", pose Antoine Vieillard-Baron, chef du service réanimation. Il assure que les pratiques n’ont pas changé et sont toujours aussi rigoureuses concernant les mesures barrières. Le médecin se demande si les contaminations n’auraient pas lieu lors des périodes de pauses ou dans la sphère privée.
Chez les soignants, la peur d’être infecté est bien présente. "Ça m'est déjà arrivé de me voir à la place d'un patient ou voir un de mes proches dans le coma, intubé", confesse Magali. L’aide-soignante ne s’étend pas longtemps sur le sujet et admet que ces pensées ne sont pas toujours aussi intenses. "Il y a des moments où ça va un peu mieux et des moments où les angoisses reprennent. Hier soir, après une semaine à la maison, j'avais l'angoisse qui montait."
Avec cette peur latente, certains sont très remontés contre le vaccin AstraZeneca, recommandé aux soignants de moins de 65 ans. Celui-ci serait moins efficace contre les variants sud-africain et brésilien, ce qui les conduit à penser qu’ils sont considérés comme la cinquième roue du carrosse.
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Souffrance psychologique
Il n’est désormais plus rare de voir un soignant craquer psychologiquement. Présentés comme des super-héros dans les médias au moment de la première vague, l’image crée maintenant le malaise. Les morts de patients, le report de leurs vacances, le fait de ne jamais compter les heures amènent parfois les organismes à lâcher. "Il y a un infirmier qui pleurait dans le service. Il s'est fait arrêter par la médecine du travail parce qu'il était clairement en épuisement professionnel", raconte Antoine Vieillard-Baron.
Les psychologues sont là pour essayer de recueillir la parole, mais la pratique n’est pas toujours évidente pour certains soignants. Certains préfèrent parfois en parler entre eux comme l’explique Sonia, infirmière : "J'ai besoin d'évacuer donc je vais raconter les choses difficiles que j'ai pu vivre avec mes collègues. Les gens dans ma famille ne sont pas forcément du métier et ça peut être un peu compliqué de recevoir tout ça."
Les équipes de l'hôpital de Boulogne semblent encore plus marqués ces derniers jours : une de leurs collègues a été durement touchée par le coronavirus et a été placée en réanimation dans un état grave. Malgré les difficultés, elles se distinguent par leur professionnalisme, leur capacité d’entraide et leur accompagnement des patients.