Les Etats-Unis ont annoncé mercredi se positionner en faveur de la levée des brevets sur les vaccins contre le coronavirus. Une annonce qui fait réagir. 2:38
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, édité par Séverine Mermilliod , modifié à
A circonstances extraordinaires, mesures extraordinaires. Après l'Inde et l'Afrique du Sud, les États-Unis discutent avec l’OMC pour la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Mais est-ce faisable et réellement utile pour régler le problème de la production de masse ? Europe 1 vous présente les enjeux de cette mesure qui fait débat.
DÉCRYPTAGE

Pour avoir plus de vaccins contre le coronavirus, plus vite et moins chers, faut-il lever les brevets des laboratoires pharmaceutiques et en faire profiter tous les États ? Le président des États-Unis, Joe Biden, s’est prononcé favorablement mercredi pour une suspension de ces brevets face à, dit-il, des "circonstances extraordinaires". La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen s'est également dit prête à en discuter. Mais qu'en est-il de la faisabilité d’une telle mesure ? Permettrait-elle de régler le problème de la production de masse des vaccins ? Et comment réagissent les laboratoires et les États ? Europe 1 fait le point sur cet épineux dossier qui pourrait bien changer la donne au niveau mondial.

Quel est l'enjeu d'une levée de brevets sur les vaccins ?

Il faut bien comprendre que les brevets sont la recette de fabrication du vaccin. Ce brevet appartient au laboratoire pharmaceutique qui l’a mis au point. Lever ces brevets revient donc à obliger un laboratoire à donner sa formule à tous ses concurrents. Cela peut paraître étonnant mais il ne faut pas oublier que la recherche a été en partie subventionné par les États.

Cette annonce intervient maintenant, car si la campagne de vaccination accélère dans les pays riches, elle piétine dans les pays pauvres. Le risque est donc que de nouveaux variants s’y développent et viennent ensuite contaminer les populations vaccinées, une sorte d'effet boomerang que l'idée d'une levée des brevets cherche à éviter.

Est-ce faisable et suffisant ?

On peut se demander si une levée des brevets permettrait réellement d’accélérer la production mondiale de vaccins. C’est faisable au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : il faudrait l’unanimité des pays membres qui négocieraient la levée de ces brevets avec les laboratoires en échange de contreparties.

Mais il ne faut pas imaginer qu’une fois la décision prise, les flacons de vaccins sortiront des usines du monde entier en un claquement de doigts. Entre le transfert de technologies, les certifications et les contrôles, il faudra 18 mois minimum. Si la décision est prise cet été au sein de l’OMC, les premières doses seront donc produites...fin 2022.

"Le frein essentiel à la production des vaccins est le manque de capacité d'infrastructures de production d'ARN messager", confirme Frédéric Bizard, économiste de la Santé, qui est favorable à cette levée des brevets pour les vaccins mais la juge insuffisante. "Il faut donc investir dans les infrastructures ! Si vous prenez la France, brevets ou pas brevets, elle n'a toujours pas jugé important d'investir dans des usines de production ARN messager."

Actuellement, un site de production de vaccins à ARN messager coûte environ 150 millions d’euros. Il est capital pour la France d’en avoir un, non seulement pour cette lutte contre le coronavirus mais aussi pour la lutte contre d’autres pathologies et notamment le cancer dans les prochaines années.

Comment ont réagi les parties prenantes ?

Au niveau international, la patronne de l'OMC a "accueilli chaleureusement" jeudi le positionnement des États-Unis en faveur de la levée des brevets. L'Union européenne, par la voix d’Ursula von der Leyen, s'est quant à elle dit prête à discuter de ce soutien, également salué par l'Union africaine et les Nations-Unies, ainsi que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Au niveau étatique, Emmanuel Macron a déclaré jeudi être "tout à fait favorable à ce que la propriété intellectuelle soit levée", à l'instar de la Russie.

Mais la mesure ne fait pas l'unanimité partout : la Suisse, où l'industrie pharmaceutique a du poids, a affirmé avoir "pris note" du soutien états-unien mais considère que cette levée des brevets ne changerait rien pour "un accès équitable, abordable et rapide aux vaccins". En Allemagne, le gouvernement d'Angela Merkel a aussi exprimé des réserves - voire une désapprobation - sur cette mesure, arguant que les brevets doivent continuer d'être "protégés". Il faut dire que BioNTech et CureVac, deux laboratoires allemands, font partie des structure de fabrication de vaccins.

Côté laboratoires justement, BioNTech a estimé que cette levée des brevets n'aurait pas d'effets à court et moyen terme, tandis que le président directeur général du laboratoire Pfizer, Albert Bourla, n'est "pas du tout" en faveur d'une suspension des brevets, même temporaire. La Fédération internationale de l'industrie pharmaceutique (IFPMA) a pour sa part jugé "décevante" la décision des États-Unis. Le débat semble donc parti pour durer.