Il sera bientôt possible de se faire prescrire des médicaments par son pharmacien. C'est en tout cas un des amendements de la loi "ma santé 2022" examinée à l'Assemblée nationale depuis ce lundi. Une proposition qui a provoqué une levée de boucliers chez les médecins généralistes.
Autour du micro de Wendy Bouchard, Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) et Thomas Mesnier, médecin-urgentiste, député LREM de Charente et rapporteur du projet de loi santé à l’Assemblée Nationale, débattent de cette épineuse question.
"Il faut répondre avant tout aux besoins des patients", estime pour sa part le pharmacien Gilles Bonnefond au micro d'Europe 1. "Aujourd'hui, on a toute une série de soins non-programmés [quand une personne n'a pas pu avoir de rendez-vous chez le médecin et que le besoin de soins est immédiat, ndlr] auxquels on ne peut pas apporter une réponse, sauf à dire d'aller à l'hôpital, ou aux urgences. Concrètement on est bloqué parce que le médicament que l'on pourrait conseiller est à prescription obligatoire", explique-t-il.
"Cet amendement a le don d'énerver pas mal de médecins", expose de son côté le médecin Jean-Paul Hamon. "Pour nous, le pharmacien est une sécurité sanitaire, j'ai les ai toujours remerciés lorsqu'ils m'appelaient avec un doute sur une ordonnance, ou une possibilité d'interaction médicamenteuse, mais on ne doit pas les faire changer de métier", estime-t-il
"Cet amendement ne nous fait pas changer de métier", lui rétorque le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine. "On répond déjà aux soins non-programmés pour un certain nombre de pathologie. Et puis il y aura un questionnaire de santé validé par les autorités de santé, c'est d'ailleurs le cas en Suisse, au Québec, au Canada. […] On a le temps de le faire. Ce qui est frustrant pour nous, c'est de ne pas pouvoir donner de réponse adaptée. Et puis il y a aussi la question de la continuité des soins quand le médecin n'a pas été disponible".
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"Mais on se téléphone déjà quotidiennement entre nous pour ça !", balaie le président de la Fédération des médecins de France. "Je travaille avec des pharmaciens en bonne intelligence", ajoute-t-il, avant de s'emporter tout en ironisant : "Nous on ne fait que de la bobologie, on ne prend jamais d'urgences, on ne fait jamais de soins non-programmés ! Il faut arrêter de penser que les médecins généralistes font de la bobologie et des renouvellements d'ordonnances !"
La sécurité du patient remise en question ?
Le principal point de crispation entre pharmaciens et médecins porte donc sur la sécurité des patients. Citées en exemple par le gouvernement, la cystite et l'angine seraient les deux pathologies que pourraient traiter les pharmaciens. "Il faut améliorer l'accès aux soins tout en maintenant la sécurité", explique de son côté Thomas Mesnier, député à l'origine de la proposition. "Les protocoles de la haute autorité de santé permettraient aux pharmaciens d'apporter une vraie réponse aux Français. […] Typiquement sur l'angine, il y a un test diagnostic avec un coton-tige que l'on frotte au fond de la gorge pour savoir si c'est bactérien ou pas".
"Ajoutez à cela quelques questions et on peut savoir s'il s'agit d'une angine simple et s'il on a besoin d'antibiotiques", avance le député médecin urgentiste, avant de développer un raisonnement similaire avec la cystite."Là encore, en quelques questions et en prenant la température on peut résoudre l'essentiel des problèmes. D'autant que les femmes connaissent souvent à l'avance le diagnostic et certains médecins donnent des prescriptions à l'avance", argumente-t-il. Avant de conclure son intervention : "Si je pensais sincèrement que l'on allait dégrader la qualité des soins, je ne ferai pas une telle proposition."
Mais son argumentation peine à convaincre les médecins. "Indéniablement, vous dégradez la prise en charge des patients !", lâche Jean-Paul Hamon. "L'angine ne se limite pas à un test !", s'emporte-t-il. "Je peux vous citer des cas de lymphomes ou de méningites que j'ai diagnostiqué en examinant les gens", raconte le médecin.
"Mais on ne fera pas tout", tente d'expliquer de son côté le pharmacien Gilles Bonnefond. "La pharmacie n'est pas un passage interdit, c'est un passage qui peut être autorisé pour mieux organiser les soins. Ça ne retire pas de travail aux médecins", assure-t-il. "Par exemple, on a beaucoup de demandes pour un mal de gorge, et on peut faire un test pour savoir si c'est viral ou bactérien. Si c'est bactérien on le dirige vers le médecin et il y va avec le résultat du test. On fait même gagner du temps au médecin qui n'a pas besoin de faire de test ! On est complémentaire".
Un argument qui ne fait pas non plus mouche auprès de Jean-Paul Hamon : "Quand on vient me voir pour un mal de gorge, je fais le test et après j'examine la personne, j'écoute son cœur, je regarde s'il n'a pas une éruption cutanée, je l'allonge... donc le test chez le pharmacien ne me fait pas gagner de temps, ça se fait naturellement".
Sur notre page Facebook, vous faîtes majoritairement confiance à votre pharmacien
Si le débat n'a pas penché d'un côté ou de l'autre à l'antenne, le résultat est beaucoup plus contrasté sur la page Facebook d'Europe 1. Quelque 7.100 personnes ont répondu à la question "Faites-vous confiance à votre pharmacien pour vous prescrire vos médicaments ?". Le "oui" l'emporte avec une confortable majorité de 68%. Véronique pointe par exemple que "ce sont souvent les pharmaciens qui découvrent un problème de prescription", tandis que Fred estime qu'ils "ont fait un certain nombre d'études pour être en mesure de donner leur avis sur une prescription". De son côté, Chantal se range à l'avis des médecins : "C'est chacun son métier". Sans oublier David, qui fait confiance à son pharmacien mais "préfère ne jamais tomber malade".