Une situation devenue intenable. Le 18 décembre, la neurologue et membre du Comité consultatif national d’éthique Sophie Crozier a pris la parole sur le "naufrage" des hôpitaux de Paris, dans une tribune très remarquée publiée par Libération. Elle y dénonce la situation dans les services hospitaliers, où le manque de moyens et surtout de lits empêchent un personnel épuisé de faire correctement son travail. "Aujourd’hui, nous abîmons nos hôpitaux, nous abîmons les gens, et je ne peux me résigner à voir l’hôpital couler ainsi… ", écrit-elle.
Un monde hospitalier au bord du burn-out
Invitée jeudi au micro de François Clauss, dans Le Tour de la question sur Europe 1, cette spécialiste estime que le système, gangrené par une logique financière, ne tient plus que grâce à la mobilisation des équipes, désormais à bout. "Il faut rassurer les Français : les patients continuent à être bien soignés", assure-t-elle. "Mais à quel prix ? Aujourd'hui les soignants sont épuisés, quand ils viennent travailler, ils ne savent pas s'ils vont travailler 8 heures ou 16 heures, ils ne savent pas s'ils vont avoir leur nombre de patients habituels".
Elle en veut pour exemple la prise en charge des AVC, pourtant considérée comme une priorité de santé publique. "Actuellement, en France, on ne peut prendre que 50% des patients qui font un accident vasculaire cérébral, or ces unités réduisent de 30 % la mortalité et le handicap !"
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Les effets pervers de la tarification à l'activité
Pour Sophie Crozier, le tournant a été la mise en place, au début des années 2000, de politiques de rationalisation, destinées à limiter les dépenses hospitalières, mais qui peuvent se heurter au principe même de la santé. "On subit une pression importante depuis plusieurs années, et notamment depuis le passage à la tarification à l'activité. Il y a actuellement un objectif principal pour nos hôpitaux, qui est d'être à l'équilibre financier. Je ne sais pas si la santé est quelque chose qui doit être rentable", interroge-t-elle. "Il faut comprendre que les hôpitaux vivent du remboursement de l'Assurance maladie. On a une course à l'activité aujourd'hui pour pouvoir maintenir nos hôpitaux à flot."
La tarification à l'activité évalue le remboursement d'une prise en charge selon le type de pathologies, réparties dans des "groupes homogènes de séjour" (GHS), que définit l'Assurance maladie. "La tarification à l'activité engendre beaucoup de problèmes à l'hôpital. Le premier, c'est que l'hôpital a intérêt à accueillir des malades qui rapportent", pointe Jean-Paul Domin, maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, spécialiste des questions de santé, également invité du Tour de la question sur Europe 1. "Par exemple, il est plus rentable pour un établissement hospitalier de faire un accouchement par césarienne que de pratiquer un accouchement normal, dans la mesure où le GHS césarienne est mieux rémunéré". Cet économiste dénonce ainsi "une sélection des malades aux plus rentables". "On fait aussi en sorte d'éloigner les malades qui peuvent être coûteux pour l'hôpital", ajoute-t-il.
L’hôpital, grand oublié de la future réforme ?
Si le gouvernement a fait savoir qu'il entendait mettre fin aux paiements à l'acte, pour Sophie Crozier, le plan "Ma santé 2022" présenté en septembre par la ministre Agnès Buzyn n'a pas pris la mesure de la crise. "Il est très ambitieux, mais avec très peu de moyens. Il y a beaucoup de moyens qui vont être donnés à la ville, c'est essentiel. […] Il y a besoin de reconstruire la médecine de ville et les liens entre la ville et l'hôpital, mais l'hôpital va mal, et c'est une urgence absolue !", alerte-t-elle. "Je ne pense pas que l'on pourra attendre jusqu'en 2022". "Actuellement, s'il y a une urgence, c'est de redonner des moyens aux hôpitaux publics, et surtout des moyens de personnel", poursuit-elle.
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"Le plan 'Ma santé 2022', c'est 400 millions d'euros. Rapportés aux 200 milliards que représentent le système de santé en 2017, c'est peanuts ! Ce plan tente de régler la question des déserts médicaux mais ne parle absolument pas de la question hospitalière", déplore Jean-Paul Domin. Pour rappel, la dépense de l'hôpital public représente actuellement 47% de ces 200 milliards, or, depuis les années 1980, les différentes politiques de réduction des dépenses publiques en matière de santé ont fait de l’hôpital leur principal cheval de bataille. Une logique qui pousse désormais à la promotion de la chirurgie ambulatoire. "Dans certaines situations, c'est un confort pour le patient, mais qu'on veuille la développer à tout va, au détriment de lits d'hospitalisation classiques, c'est une aberration", conclut Sophie Crozier.