C'est un profond "désarroi" qui habite depuis déjà trop longtemps les équipes de psychiatrie et les familles de malades. À causes de problématiques budgétaires, la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux est insuffisante. Cette situation est aujourd'hui dénoncée par une centaine de psychiatres, cosignataires d'une lettre adressée à la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
Des lits en moins, une demande en hausse. Chez Wendy Bouchard sur Europe 1 jeudi, Pierre-Michel Llorca, chef du service psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand, dresse un constat inquiétant. "Du début des années 1990 à 2011, 55.000 lits d'hospitalisations ont été supprimés, et on compte 15.000 places d'ambulatoire en moins. On voit bien que le compte n'y est pas", déplore le médecin.
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Pourtant, selon plusieurs études dont celle de la Fondation Pierre Deniker, un Français sur cinq souffre de troubles mentaux, de dépressions, de troubles bipolaires, d'autisme ou de schizophrénie. Et la demande de prise en charge psychiatrique ne cesse d'augmenter. "Désormais, on s'occupe des enfants, des femmes enceintes… Maintenant, on fait attention à tout ça, on parle plus de ces choses-là", observe Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrique de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, qui a remis la lettre à Agnès Buzyn mercredi.
Pour le psychiatre, une solution à ce manque de lits pourrait être le développement des prises en charge "à domicile" de certains malades. "Il faut que le nombre total de lits supprimés soit redéployé vers l'extérieur", insiste-t-il.
"Un déficit gigantesque de lieux de vie spécialisés". Selon le docteur Pelissolo, les dysfonctionnements sont présents à chaque étape du processus de prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Il illustre : "Certaines personnes ne sont pas autonomes malgré les traitements que l'on peut mettre en place. Elles ne peuvent pas vivre seules et n'ont plus leurs familles présentes. Pour ces personnes, on cherche des lieux de vie adaptés, spécialisés. Malheureusement, là aussi, il y a un déficit gigantesque en France. Les places qu'on a fermées dans les hôpitaux, on ne les a pas créées ailleurs. Trouver des places à ces personnes dans ces foyers peut prendre des années."
Résultat, ces personnes, bien que stabilisées mentalement, restent à l'hôpital dans l'attente d'un nouveau lieu de vie. "Pendant ce temps, les lits ne sont pas accessibles aux personnes en crise", se désole le psychiatre.
Un budget qui ne sert pas toujours au service. Plus surprenant peut-être : les moyens financiers normalement alloués aux services hospitaliers de psychiatrie ne leur servent pas toujours. "Le système français fait que la psychiatrie est financée par une enveloppe globale. Le problème c'est qu'elle est donnée de manière inconditionnelle aux hôpitaux, qui ont tendance à l'utiliser pour d'autres besoins considérés comme plus urgents, ou pour combler des déficits malheureusement", explique Antoine Pelissolo sur Europe 1.
Dès lors, ce sont des postes en moins pour aider les malades, et une charge de travail qui augmente au point de devenir invivable pour les soignants. "Ça fait quelques années qu'il y a en permanence des services en grève, c'est quand même étonnant. Les malades sont soignés et les soignants font leur travail, mais ils sont tellement découragés qu'ils disent : 'on n'en peut plus'", rapporte le psychiatre, qui formule cette demande "assez pratique" et que l'on peut "résoudre facilement" : "Que les moyens qui sont théoriquement affectés à la psychiatrie… soient bien affectés à la psychiatrie."
Une journée d'action nationale est annoncée pour mardi prochain à l'appel de plusieurs collectifs.