Certains préservatifs seront désormais remboursés sur prescription médicale, pour aider à lutter contre le sida, a annoncé mardi la ministre de la Santé Agnès Buzyn. "À compter du 10 décembre", les Français pourront se faire délivrer des "boîtes de 6, 12 ou 24 préservatifs (...) en officine de pharmacie sur présentation d'une prescription d'un médecin ou d'une sage-femme", a précisé le ministère de la Santé dans un communiqué. "On pourra maintenant, quand on est un jeune ou quand on présente des risques particuliers, ou pas d'ailleurs, quand on est une femme ou quand on est un homme, aller voir son médecin et avoir des préservatifs remboursés sur prescription médicale", a détaillé Agnès Buzyn sur France Inter.
Pour l’heure, une seule marque est concernée, Eden, du laboratoire français Majorelle, qui avait demandé et obtenu en juin un avis favorable de la Haute autorité de santé (HAS). La HAS a jugé que le service rendu par les préservatifs masculins pouvait justifier un remboursement par l'Assurance maladie. Cette autorisation historique pourrait donc ouvrir la voie à d’autres marques, pour d’autres types de préservatif. "Plusieurs industriels nous ont fait part de leur décision de déposer des dossiers", nous indique-t-on du côté du ministère de la Santé. Mais cette mesure peut-elle vraiment s’avérer efficace, alors que la moitié des moins de 25 ans reconnaissent encore avoir des rapports non protégés, selon différents sondages ?
"Cette mesure peut servir de levier"
"C’est une bonne nouvelle. Plus on se donne les moyens de lutter contre le VIH, mieux c’est", se réjouit Caroline Izambert, responsable plaidoyer chez Aides. Aujourd’hui, les préservatifs sont déjà largement accessibles : disponibles gratuitement au sein des plannings familiaux et dans les locaux des associations, ils peuvent également être achetés en pharmacie et en grande surface. Mais selon Aides, l’implication du médecin lors de la prescription médicale peut inciter au port du préservatif.
"L’important, c’est de lutter contre toutes les occasions manquées. Lorsque l’on va voir son généraliste pour un mal de dos récurrent par exemple, pourquoi ne pas en profiter pour aborder la question des risques liés à la sexualité ? Aujourd’hui, cela ne se fait pas assez, ce sont des occasions manquées. Cette nouvelle mesure peut servir de levier, d’occasion pour le patient et/ou le médecin d’aborder ces questions lors des consultations. De nombreuses personnes que l’on suit regrettent que le médecin n’aborde pas ces questions, car elles n’osent pas forcément le faire", poursuit Caroline Izambert.
" Pas sûr que les jeunes (ni le médecin) soient tous bien à l’aise de parler de leur sexualité devant le médecin de leurs parents "
Chaque année, ce sont environ 6.000 nouveaux cas de séropositivité qui sont découverts. Et le préservatif est encore largement sous-utilisé. Aujourd’hui, près de 60 % d’étudiants et 40 % de lycéens avouent ne pas porter systématiquement un préservatif lors d’un rapport. 19% des moins de 25 ans estiment même (à tort) que la pilule contraceptive d’urgence peut empêcher la transmission de virus, et 34% ne vont pas se faire dépister après un rapport à risque.
"Nous pouvons ajouter à ces statistiques la multiplication par trois des contaminations à la chlamydia chez les jeunes filles et au gonocoque chez les jeunes hommes (deux maladies sexuellement transmissibles). Dans ce contexte, le remboursement est bien entendu une bonne nouvelle", juge pour sa part Sandrine Fournier, directrice du programme France du Sidaction. Toutefois, cette spécialiste doute de la réelle efficacité d’une telle mesure. "Pour obtenir le déremboursement, on doit passer par un médecin. La plupart du temps, chez les jeunes, il s’agit du médecin de famille. Pas sûr que les jeunes (ni le médecin) soient tous bien à l’aise de parler de leur sexualité devant le médecin de leurs parents", s’inquiète-t-elle.
"C’est une mesure largement incomplète"
L’efficacité d’une telle mesure dépendra, en effet, en grande partie de l’implication des médecins généralistes : ce sera à eux de juger de la pertinence de prescrire un préservatif. "C’est une mesure simple et intelligente", s’enthousiasme pour sa part Claude Leicher, généraliste dans la Drôme et président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé. "Tout le monde n’ose pas aller voir le planning familial. Alors qu’un médecin généraliste, on le voit suffisamment souvent pour aborder la question du préservatif de temps en temps, même si l’on ne vient pas pour ça. Les médecins ont bien sûr un rôle à jouer. Personnellement, dès que j’en ai l’occasion, je rappelle l’importance de se protéger. Il y a des affiches dans mon cabinet, et j’en parle dès que je sens que c’est le bon moment. […] Cette mesure peut devenir un signal pour en parler davantage", poursuit le médecin.
La plupart des acteurs s’accordent toutefois pour dire que le gouvernement pourrait faire encore beaucoup plus. "Il y a un énorme travail à faire auprès des populations immigrées. Aujourd’hui, nous n’accordons pas le titre de séjour aux étrangers atteints du VIH. Et beaucoup d’entre eux sont renvoyés ou restent illégalement sur le sol français sans se faire soigner", s’inquiète-t-on chez Aides. "C’est une mesure largement incomplète", renchérit Sandrine Fournier, de Sidaction. Et d’étayer : "Dans la plupart des lycées et des universités, il est censé y avoir un distributeur de préservatifs. Or, ils sont trop souvent en mauvais état, ou pas approvisionnés. Il reste encore beaucoup, beaucoup de chose à faire pour inciter les jeunes à se protéger, mais aussi pour les informer : trop de monde ignore, par exemple, l’existence des ‘TPE’ (traitement post exposition), qui permettent d’annihiler les risques de contamination si l’on se rend aux urgences moins de 48 heures après un rapport à risque".
Lors d’un discours prononcé le 22 novembre dernier, Agnès Buzyn a rappelé sa volonté "d’éradiquer l’épidémie du Sida d’ici 2030". Elle avait notamment annoncé la mise en place, dès 2019 d’une vaste campagne d’information sur le dépistage et les traitements.