Emmanuel Macron, en janvier 2017 alors qu'il n'était que candidat à la présidentielle, l'annonçait : il faut rouvrir le débat autour du numerus clausus. Une fois président, il a précisé, en juillet dernier, vouloir mettre en place "des réformes structurelles pour rouvrir les numerus clausus qui ont construit cette rareté du personnel médical sur les territoires".
Le numerus clausus, instauré en 1971 par Simone Veil et drastiquement abaissé à partir de 1995 quand Alain Juppé est arrivé à Matignon, désigne chaque année le nombre d'étudiants autorisés à poursuivre leurs études de médecine au-delà de la Paces (première année commune aux études de santé. Ainsi, le 29 décembre dernier a été publié au Journal Officiel le chiffre pour l'année 2019 : 8.205 places ont été ouvertes en médecine. Même s'il est en augmentation par rapport à celui de 2017, ce chiffre a relancé le débat du côté de LREM, au sein duquel le député Olivier Véran demande désormais sa suppression pure et simple. Pour ce neurologue de profession contacté par le Figaro dans son édition de mercredi, le numerus clausus "n'est qu'un instrument qui empêche les jeunes Français de faire médecine en France". Toujours selon Le Figaro, une réunion à l'Elysée pourrait d'ici dimanche prendre une décision dans ce dossier.
>> Mais si une suppression pourrait présenter des avantages, elle ne réglerait pas les maux du système de santé. Décryptage.
#"Un système inefficace et injuste"
Gâchis de talents... Un des premiers arguments des pourfendeurs du numerus clausus est son côté couperet qui laisse sur les bas-côtés de la Paces des milliers d'étudiants. En 2019, 8.205 places seront ouvertes en médecine, 1.203 en dentaire, 3.124 en pharmacie et 991 en maïeutique, soit un total de 13.523 places en seconde année d'étude. Or, lors de cette année universitaire 2017-2018, pas moins de 60.000 élèves étaient inscrit en Paces. Les recalés au concours de fin de première année, même si une partie d'entre eux réussissent finalement après un redoublement, seront donc encore très nombreux. "On écarte précocement des étudiants brillants et motivés qui auraient fait d'excellents médecins", déplore ainsi Olivier Véran.
Emmanuel Macron disait presque mot pour mot la même chose avant l'élection présidentielle en avril dernier : "Le numerus clausus est à la fois inefficace et injuste. On écarte précocement des étudiants motivés qui auraient fait d'excellents médecins". Le président de la République remettait aussi en question la nature des épreuves passées à la fin de la Paces : "Elles ne rendent pas compte de leurs capacités à devenir d'excellents professionnels".
… qui partent à l'étranger obtenir leur diplôme. De plus en plus de recalés se rendent d'ailleurs à l'étranger pour effectuer leur cursus de médecine, en Belgique ou en Roumanie par exemple. Grâce à l'équivalence des diplômes instaurée dans l'Union européenne, ils reviennent ensuite dans l'Hexagone pour exercer. Il faut ajouter à ces Français formés hors de France les médecins étrangers qui décident de travailler en France. Dans son Atlas 2017, le Conseil national de l'ordre des médecins constate une augmentation régulière des effectifs diplômés à l'étranger depuis dix ans. "En 2017, on dénombre 22.619 médecins à diplôme étranger en activité régulière. Cela représente 11% de l’activité régulière en France en 2017", rapporte le Conseil sur son site.
Le hic : la qualité de certaines de ces formations à l'étranger, difficilement contrôlable, est remise en doute par la communauté médicale française. Autre problème, la venue de ces médecins étrangers, aléatoire, vient fausser les calculs des autorités françaises qui établissent chaque année le numerus clausus qui répondra aux besoins des Français en médecin dans dix ans.
Des médecins qui travaillent de moins en moins. Autre argument en faveur d'un relèvement ou d'une suppression du numerus clausus : former davantage de médecins en France permettrait de s'adapter à l'évolution de leur temps de travail. Ces derniers ont clairement tendance à moins travailler. Après des semaines à 70 heures dans les années 1960 et 1970, ils sont désormais à leurs postes 53 heures en moyenne, selon des chiffres de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). La raison ? La volonté de mieux concilier vie professionnelle et personnelle est avancée par les principaux concernés.
#Quel effet face à la désertification et la pénurie de spécialités ?
Un problème de répartition. Ultime argument en faveur d'une suppression du numerus clausus : une hausse des effectifs de médecins permettrait d'atténuer l'effet de la désertification médicale dans certaines zones. Reste que ce problème semble davantage lié à un problème de répartition qu'à un problème de pénurie de médecins. Actuellement, 290.000 médecins sont en effet inscrits à l'Ordre, dont un quart d'étrangers, un chiffre qui n'a jamais été aussi élevé. Et selon le Conseil national de l'ordre des médecins, la France pourrait même souffrir d'une surpopulation médicale à partir de 2020. Une hausse du numerus ne réglerait donc rien si les médecins continuent à s'installer dans des zones qu'ils jugent plus attractives.
"Régionaliser" le numerus plutôt que de le supprimer ? La ministre de la Santé elle-même l'expliquait en octobre dernier lors de la présentation de son plan de lutte contre les déserts médicaux : "Le numerus clausus est passé de 6.000 à 8.000 ces dernières années. On sait donc que la population médicale va augmenter. Le problème est qu’elle ne sera pas forcément faite de généralistes. Nous devons voir comment rétablir l’équilibre entre médecins généralistes et spécialistes".
Un discours qui a séduit les syndicats d'internes farouchement opposés à la suppression du numerus clausus. Dans les recommandations de la Cour des comptes publiées le 29 novembre dernier, le numerus clausus n'est d'ailleurs pas évoqué. Les Sages préconisent plutôt l'arme du déconventionnement pour dissuader les médecins de s'installer dans des zones déjà sur-dotées. Enfin, le Conseil national de l'Ordre des médecins a rappelé en novembre 2016 dans un communiqué que la hausse du numerus clausus "est parcellaire face à la complexité des problématiques d'accès aux soins" et que "seule une réforme globale du système de santé" serait vraiment efficace. Dans des recommandations publiées en février 2017, il recommande plutôt de "régionaliser" le numerus clausus plutôt que de le supprimer.
Des effets dans dix ans. En outre, les effets d'une suppression ou d'un relèvement seraient très long à se faire sentir. C'est en tout cas que souligne un proche d'Agnès Buzyn dans les pages du Figaro de mercredi : "Ouvrir le numerus clausus ne produirait des médecins que dans dix ans minimum, le temps de les former". Inutile donc d'en attendre la résolution de problèmes immédiats.
Plus d'étudiants mais pour quelle formation ? Enfin, assouplir ou supprimer le numerus clausus risque d'entraîner plus de problèmes que de solutions, selon les détracteurs de cette proposition. Manque de place dans les universités, casse-tête pour caser les externes lors de leurs stages à l'hôpital… Les cabinets pourraient certes les accueillir. Mais pas sûr que les médecins libéraux acceptent cette surcharge de travail sans compensation financière. Enfin, concernant les postes des internes, s'ils sont des bras très utiles au fonctionnement des hôpitaux, là encore, il faut les payer. Une hausse soudaine de leurs effectifs devrait donc être assurer par les hôpitaux qui ont déjà du mal à boucler leurs budgets.