"Pour résumer ce sont des difficultés à la marche, une impossibilité de courir, un brouillard cérébral, des tremblements. C’est une vie détruite." Contaminé depuis octobre 2020, Matthieu Lestage subit depuis deux ans et demi les symptômes d’un Covid long. Décrit par les médecins comme un syndrome et non comme une maladie, le Covid long est un ensemble de symptômes liés au virus du Covid-19, qui persistent après plusieurs semaines de contamination.
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"Au bout de trois semaines, je suis parti à l'hôpital pour une suspicion d'embolie pulmonaire, à cause de laquelle j’ai failli mourir dans ma voiture. Mais en fait, le soir même, le médecin allait me faire partir. Pour la simple et bonne raison que j'avais 42 ans, j’étais sportif, je n’avais aucun antécédent médical, bref il n’y avait rien. Et en novembre 2020, les hôpitaux étaient saturés, je ne cochais aucune case pour être hospitalisé. Et donc le soir même, on m'a laissé partir", raconte ce père de deux enfants.
Des symptômes très handicapants au quotidien
Il ne s’agissait finalement pas d’une embolie pulmonaire mais de ce qu’on appelle un "choc cytokinique", soit une explosion de la réponse immunitaire de l’organisme. Et depuis, Matthieu se bat avec les séquelles laissées par le virus et cette réaction. Il décrit des symptômes très handicapants au quotidien : une fatigue extrême, un essoufflement à la moindre action et des troubles de la concentration. Face à l’errance médicale, Matthieu Lestage a intégré l’association de patients atteints de Covid long, Après J20, dont il est devenu le porte-parole. Il se bat dorénavant pour une meilleure prise en charge et une meilleure reconnaissance du syndrome.
Selon Santé publique France, le Covid long toucherait près de deux millions de Français adultes, sans préciser le nombre d’enfants potentiellement touchés. Un rapport du ministère de la Santé datant de début 2022 estimait que sur l’ensemble des personnes recensées ayant contractées le Covid-19, 10% présenteraient des symptômes persistants plus de trois mois après leur contamination. Et depuis trois ans, ce syndrome, imprévisible, ravage la vie de milliers de personnes.
"Je me disais que c’était une formalité"
C’est aussi le cas d’Adèle, 38 ans. Malgré une vaccination, elle contracte le Covid-19 en mars 2022. "Je me disais que c’était une formalité, que j’allais avoir une sorte de rhume comme mes amis. Mais en fait ça m’a mise complètement à terre", décrit-elle. "J’étais incapable de tenir debout, je ne pouvais pas porter mes enfants et j’avais des troubles de la vision". Les semaines passent et l’état d’Adèle ne s’améliore pas. Le diagnostic est difficile, elle met plusieurs mois à se décider à prendre rendez-vous chez son médecin. Celui-ci lui prescrit des corticoïdes pour l’aider dans sa fatigue et son essoufflement, sans pour autant lui proposer un accompagnement poussé à ce moment-là.
Puisque ce traitement ne lui suffit plus, elle finit par faire des demandes de prises en charge, avec l’aide de son médecin. Mais face à la trop forte demande, son dossier est refusé à l’Hôpital Foch, puis à l’Hôpital Raymond-Poincaré, cette fois-ci car son état est "trop avancé" pour pouvoir suivre le programme d’accompagnement. Elle obtiendra finalement une place à la fin février 2023, soit un an après sa contamination.
Les cellules d’accompagnement post-Covid, une solution ?
Toujours selon le même rapport du ministère de la Santé, il existe depuis janvier 2022 au moins 130 cellules de coordination post-Covid. Celles-ci sont accessibles par les patients grâce à un premier avis médical favorable, en passant par les réseaux mis en place par les agences régionales de santé (ARS) ou directement en contactant les hôpitaux qui les organisent.
Ces programmes d’accompagnement se composent d’exercices de kinésithérapie, d'activités physiques adaptés et de suivi neuropsychologique sur six semaines. "Le dispositif propose aux patients une semaine d’évaluation initiale pluridisciplinaire pour faire le point sur leur capacité de marche, leur capacité respiratoire, leur niveau d’endurance. S’ajoute à cela un bilan cognitif et neuropsychologique, avant d’entamer une rééducation. Celle-ci se fait seulement sur trois demi journées par semaine, pour ne pas fatiguer les patients", détaille le docteur Clémence Lefèvre-Dognin, qui officie dans le service de rééducation de l’Hôpital Raymond-Poincaré AP-HP à Garches, en région parisienne.
"Apprendre à vivre avec la maladie"
Le suivi s’effectue en groupe de quatre personnes en simultané, pour que ces dernières puissent échanger leurs expériences et le cas échéant leurs progrès respectifs. À noter qu’il s’agit d’un programme d’adaptation, pour "apprendre à vivre avec la maladie" car il n’existe pas de traitement curatif.
Le docteur Clémence Lefèvre-Dognin précise que les patients doivent être suffisamment aptes physiquement pour intégrer la cellule car il faut "supporter le programme" : pouvoir tenir les exercices, mais aussi avoir assez d’énergie pour les trajets en voiture ou en transport qui entourent les séances de soin. "Ensuite, l'objectif est de définir leurs besoins et d'orienter vers une poursuite de la stimulation physique et cognitive, qui peut être associé à un suivi psychologique", ajoute-t-elle.
Cependant, accéder à ce suivi a pu être difficile, comme pour Adèle ou pour Matthieu, dont le Covid long s’est déclaré en plein cœur de l’épidémie en France. Il a pu intégrer l’une des premières cellules d’accompagnement en décembre 2020, coordonnée par l’infectiologue Dominique Salmon-Ceron, à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu. Et certains sont toujours en attente d’affectations. Selon le porte-parole de l’association Après J20, pour l’unité du docteur Salmon-Ceron, 650 personnes atteintes d’un Covid long attendraient une réponse.
"Il faudrait beaucoup plus communiquer sur l'existence de ces réseaux de soins car certains patients arrivent dans le circuit très ou trop tard, alors même qu'ils souffrent d’une fatigue extrême", constate le docteur Lefèvre-Dognin. "Leur plainte, c’est d’avoir erré dans le système, de n’avoir pas su à qui s’adresser. Alors quand ils arrivent ici c’est une délivrance. À présent on gère des cas de Covid long de 2022, donc c’est de mieux en mieux. Plus précoce sera la prise en charge, meilleur sera l’accompagnement."
Des patients qui arrivent trop tard dans le circuit
Elle regrette un manque d’informations général qui retarde la prise en charge des patients. "Les médecins généralistes sont eux aussi souvent en difficultés car ils ne savent pas comment les prendre en charge. Ils écoutent, mais ne savent pas forcément orienter et ont du mal à repérer et expliquer certains symptômes", constate le docteur.
Pourtant, le gouvernement avait fait de l’information autour du Covid long son cheval de bataille. Après la circulation d’une feuille de route intitulée "Comprendre, informer, prendre en charge", chiffrée à 20 millions d’euros au titre du Fonds d’investissement régional, le Parlement a promulgué une loi le 24 janvier 2022 censée encadrer la prise en charge du syndrome.
Une loi pas appliquée ?
Cette loi devait mettre en place une plateforme de suivi des malades chroniques du Covid-19, à l’image de TousAntiCovid. Mais celle-ci, un an après, est toujours absente selon Matthieu Lestage. Seul un questionnaire et les contacts des cellules d'accompagnement sont disponibles sur les sites des différentes ARS.
Il est indiqué qu'"un décret, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), doit définir la mise en application de cette nouvelle plateforme", sans plus de précision. "Cette loi est complètement obsolète tant que les décrets ne sont pas mis en application", affirme le porte-parole. "C'est vrai que ça ne va pas aussi vite qu'on pourrait imaginer", répond Laurence Cristol, députée Renaissance et médecin, à l’origine d’une question au gouvernement sur la prise en charge des Covid longs en décembre dernier.
"Mais il y a quand même des choses qui ont été mises en place, qui font consensus et qui ont permis une amélioration globale de cette problématique, qui par sa définition est extrêmement complexe", ajoute-t-elle. Selon la députée, l’errance médicale est liée à la méconnaissance du syndrome et l’absence de traitement curatif, que seule la recherche médicale pourrait résoudre.
Très attentive à ce sujet, je veillerai à la poursuite de ces travaux .#CovidLongpic.twitter.com/mlj6YacvUw
— Laurence Cristol (@LaurenceCristol) February 7, 2023
Une étude clinique en cours
"En Occitanie, dont je suis issue, on est vraiment une région porteuse là-dessus. On a une étude clinique actuellement en cours qui se terminera à la fin 2023. On espère plus de 9.000 patients participants, ce qui nous permettra une avancée d’un point de vue épidémiologique et une connaissance plus précise de la maladie en elle-même", détaille Laurence Cristol.
Cette méconnaissance constitue le principal frein dans l’espoir d’une guérison des patients, et même, plus tristement, d’une reconnaissance administrative du syndrome. Très peu d’affectations de longue durée (ALD) sont délivrées par l’Assurance maladie.
Obtenir une ALD, un autre combat
Ces ALD sont pourtant essentiels dans le parcours des malades. Elles permettent une indemnisation, quand souvent les personnes atteintes de Covid longs sévères prolongent leurs arrêts maladies et ne touchent qu’une partie de leur salaire initial. Matthieu Lestage a pu obtenir la sienne après des examens neurologiques approfondis, qui ont décelé des défaillances sur son système nerveux, provoquant notamment des tremblements. Adèle, elle, s’est vu refuser la sienne.
Le Covid long étant identifié comme un syndrome, il "n’est aujourd’hui pas reconnu en ALD de façon spécifique et identifiée", reconnaît Laurence Cristol. Cependant, il est possible d’obtenir une ALD sur une conséquence du Covid long, comme dans le cas de Matthieu Lestage. "Il est possible de demander une majoration d’une ALD déjà présente, de demander une ALD sur une maladie secondaire ou dans certains cas faire une demande d’ALD hors-liste", ajoute-t-elle.
Si des solutions d’adaptation existent, s’en sortir avec un Covid long est un parcours du combattant. Et, face à la lenteur de la recherche et l’arrêt de certaines mesures de lutte contre l’épidémie, beaucoup de malades craignent de nouveaux cas de Covid longs causés par un relâchement de la population.