"N’oublions pas que le virus du sida est toujours là". Derrière le slogan du Sidaction, dont se tient la 25ème édition ce week-end, se cache un constat aussi alarmant qu'implacable : 6.424 personnes ont découvert leur séropositivité en France en 2017, selon les derniers chiffres officiels publiés fin mars. Soit quinze à vingt personnes par jour. Certes, ce nombre de nouveaux cas s'inscrit dans un contexte de légère hausse du dépistage, avec 12% de tests en plus depuis 2010, mais la baisse tant espérée - si ce n'est attendue - n'est toujours pas d'actualité. Banalisation, défaut d'information, mauvais usages des outils à disposition… Pourquoi le nombre de contaminations reste-t-il stable ?
Toutes les populations encore touchées
Posons les bases. Sur les 6.400 personnes diagnostiquées séropositives en 2017, 3.600 (56%) ont été contaminées lors de rapports hétérosexuels, 2.600 (41%) lors de rapports sexuels entre hommes et 130 (2%) par usage de drogues injectables. Pour les deux premiers modes de contamination, le chiffre est stable entre 2010 et 2017. Chez les usagers de drogues, la diminution se poursuit, mais c'est là l'une des seules bonnes nouvelles du bilan dressé par Santé publique France (SpF).
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L'incidence ne baisse donc ni chez les hommes ayant des rapports sexuels avec un ou plusieurs hommes (HSH), ni chez les hétéros. Pour les migrants, la tendance est même à la hausse : chez les homosexuels, le nombre de découvertes passe de 400 cas en 2011 (18% des découvertes chez les HSH) à 675 en 2017 (26%). Et parmi les découvertes de séropositivité chez les hétérosexuels, 75% concernent des personnes nées à l'étranger, principalement en Afrique subsaharienne.
Selon le Sidaction, le nombre de nouvelles infections chez les jeunes de 15-24 ans a pour sa part augmenté de 24% depuis 2007 en France. Les seniors sont également concernés avec une hausse de 22% des cas depuis 2008.
L'épidémie face à la banalisation
Et si les progrès en termes de traitements contre la maladie avaient entraîné une sorte de banalisation ? "C'est tout le paradoxe", pointe sur Europe 1 Marina Karmochkine, médecin spécialiste du sida à l’hôpital Georges Pompidou, à Paris. "Au début des années sida, c'était sida = mort, et donc il y avait une forme de combat, de résistance… Aujourd'hui, grâce aux traitements, il n'y a plus cette équation tragique et du coup, on a beaucoup plus de mal à faire passer les messages de prévention", déplore l'auteure de Saurai-je parler du sida ? Un médecin face à la banalisation.
"Tout le monde a un peu en tête ce qu'est le VIH, qu'il faut s'en protéger, qu'il y a le préservatif, mais il n'y a plus cette terreur qu'il y avait autrefois et qui motivait à se protéger", confirme Aline Peltier, chargée de mission à l'association Aremedia, qui travaille au quotidien sur les messages de prévention.
Les jeunes restent mal informés
Première cible de la prévention, les jeunes évidemment. Selon un sondage Ifop-Bilendi fin février, 23% des jeunes s'estiment mal informés sur le VIH, soit deux fois plus qu'en 2009. "C'est le niveau le plus haut atteint depuis 10 ans", note à ce propos le Sidaction.
La faute, notamment, à une mauvaise éducation sexuelle à l'école, selon les intéressés. Ils sont en effet 75% à pointer du doigt l'Éducation nationale. "En 4ème, l'éducation sexuelle, c'était vraiment minime. On ne parle pas assez de certaines choses. J'ai plein d'amis qui n'étaient pas au courant que l'on peut attraper des maladies sexuellement transmissibles par la fellation. Et à l'école, je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu ça", assure notamment une adolescente au micro d'Europe 1. "Certains amis peuvent avoir des questions comme : 'est-ce que le sida peut se transmettre par le baiser, par le sang, etc.", rapporte un autre.
Autre chiffre éloquent : 50% des 15-17 ans n'ont pas utilisé de préservatif lors d'un rapport sexuel parce qu'ils n'en avaient pas à disposition. D'où la nécessité de renforcer l’éducation à la sexualité dans tous les collèges et lycées de France. Car le remboursement de certains préservatifs sur ordonnance, annoncé en novembre dernier, est encore une mesure incomplète, tonnent les acteurs de la lutte.
Encore trop peu de dépistages
L'État pourrait donc faire plus en matière de prévention. Mais aussi de dépistage. Si chaque année, cinq millions de tests sont réalisés en France, "on pense qu'on ne dépiste pas les bonnes personnes puisqu'il y a toujours une épidémie un peu cachée", regrette Marina Karmochkine.
Près d'un tiers des découvertes de séropositivité se font en effet à un stade avancé de l'infection, voire au stade clinique du sida. Là encore, cette proportion est "stable depuis 2013", précise Santé publique France. Et les autotests, disponibles en pharmacie depuis 2015, peinent toujours à s'imposer. En 2017, seulement 73.000 ont été achetés. Au-delà de leur coût souvent prohibitif - entre 23 et 28 euros -, seule une pharmacie sur trois en propose. Parmi les 172.000 porteurs du VIH dans le pays, 24.000 le seraient sans le savoir.
Un usage "détourné" des traitements préventifs
L'absence de baisse du nombre de nouveaux séropositifs en France est d'autant plus décevante que les spécialistes misaient beaucoup sur l’extension de la PrEP, ou prophylaxie pré-exposition, un traitement préventif encore très peu connu. Accessible en France depuis janvier 2016, elle est pourtant entièrement remboursée par la Sécu. Et s'avère très efficace, à condition d'être parfaitement pris.
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Alors qu'environ 5.000 personnes sont sous PrEP en France, "aujourd'hui, on est un peu dans un usage détourné, c'est-à-dire que beaucoup beaucoup de gens utilisent cette chimie à la place de la capote", souligne l'immunologiste Marina Karmochkine. "On aurait dû, grâce à cet outil et au préservatif, voir des chiffres qui baissent énormément".
En outre, la très grande majorité des personnes sous traitement sont homosexuelles. Autrement dit, encore trop peu d'hétérosexuels l'utilisent. Or, dès 2015, l’OMS le recommandait non plus seulement aux HSH mais aussi "à toute personne exposée à un risque ‘substantiel’ d’infection par le VIH".
La recherche a encore besoin de fonds
Lors d’un discours prononcé le 22 novembre dernier, la ministre de la Santé Agnès Buzyn avait rappelé sa volonté "d’éradiquer l’épidémie du sida d’ici 2030". Car si les traitements par trithérapie permettent aujourd'hui de rendre le virus indétectable et d'empêcher sa transmission, on ne sait toujours pas l'éliminer de l'organisme. C'est en cela que le financement de la recherche s'avère toujours aussi nécessaire.
L'an passé, le Sidaction avait réuni 4,4 millions d'euros de promesses de dons, soit plus qu'en 2017, dans un contexte de baisse générale des dons aux associations. Mais cette augmentation devait surtout au chèque "exceptionnel d'un grand donateur" resté anonyme. Ce ne sera pas forcément le cas à chaque fois.