Tiers payant : pourquoi les médecins ne lâchent rien

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Gaétan Supertino avec AFP
A trois jours d’un nouveau vote sur la loi Santé, les blouses blanches manifestent, encore. 

Les craintes des médecins "ne sont pas fondés. La généralisation du tiers payant apparaîtra progressivement comme une évidence", a martelé Marisol Touraine vendredi matin. Mais les tentatives d’apaisement de la ministre de la Santé sonnent comme des coups d’épée dans l’eau. Les médecins, les dentistes et les infirmiers libéraux manifestent une nouvelle fois vendredi contre le projet de loi santé, et notamment sa mesure phare : le tiers payant généralisé. À trois jours d'un nouvel examen du texte à l'Assemblée, les professionnels du secteur restent remontés contre la mesure, comme au premier jour.

La majorité des syndicats de médecins libéraux (CSMF, MG France, FMF, SML, Bloc) fait ainsi front commun. Rejoints par SOS Médecins et d'autres professions, ils bénéficient aussi du soutien de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), elle aussi remontée contre un texte accusé de "menacer l'exercice libéral". Mais pourquoi tant de haine contre ce projet ?

Les médecins craignent un casse-tête administratif… Ce mouvement exprime un "ras-le-bol qui est énorme", selon Claude Bronner, président de l'Union généraliste. Avec le tiers payant généralisé, les patients n'auront plus à avancer les frais lors d'une consultation chez le médecin. Celui-ci sera directement payé par la Sécurité sociale ou les mutuelles. Mais les professionnels de santé craignent de crouler sous les démarches administratives pour réussir à se faire payer. Ils se montrent ouverts à un tiers payant étendu à d’autres ménages modestes (les bénéficiaires de la CMU y ont déjà droit), mais pas à tout le monde.

Aujourd’hui, le tiers payant est déjà généralisé pour certains dépistages ou pour les accidents de travail par exemple. Or, les médecins rencontrent un nombre "incalculable de problèmes avec la Sécurité sociale", pour se faire rembourser dans ces cas-là assure le Dr Thierry Lefresne, un médecin généraliste gréviste cité par l’AFP. "Cela va être pire avec le tiers payant et la gestion des innombrables mutuelles et différents régimes", prédit le médecin.

Preuve, selon les professionnels, de l’impossibilité d’appliquer la mesure : l'Assurance maladie et les complémentaires Santé devaient rendre un rapport avant le 31 octobre pour proposer des solutions techniques de mise en œuvre. Et ce rapport se fait toujours attendre.

… Et de ne plus être "libres". Face à cette crainte, la ministre assure : "la commande est claire. Cela doit être simple". Marisol Touraine a rappelé, vendredi sur BFMTV-RMC, avoir introduit "toute une série de garanties dans la loi pour tenir compte des préoccupations" des médecins, notamment une garantie de paiement "en moins de sept jours". Mais ce n’est pas ça qui inquiète le plus les médecins. Ces derniers redoutent plus que tout le fait de se retrouver à la solde de la "Sécu" et des mutuelles. Les syndicats craignent en effet qu'il ne s'agisse d'un premier pas avant un contrôle plus poussé de l'administration publique et des assurances privées sur les tarifs, les salaires ou encore les horaires des praticiens. "J'ai choisi d'être médecin par amour des gens et libéral car je veux être libre", résume le Dr Thierry Lefresne.

Partisan de la réforme, le Ciss, un collectif qui représente les patients, a de son côté dénoncé le conservatisme des médecins, et une grève menée "contre les droits des gens". La grève, soutenue par une majorité, divise également le corps médical. "Quand pense-t-on à l'intérêt du patient ? C'est quand même le sens de notre métier ! Le tiers payant permet d'éviter les chèques en bois", estime ainsi Martine Lalande, médecin militante depuis trente ans dans une cité défavorisée de Gennevilliers, interrogée par l’AFP. Et de conclure : "Notre employeur c'est quand même la Sécu. On ne veut pas de contraintes et gagner plus d'argent, ce n'est pas possible !".