Dans son livre Covid, le bal masqué - Qui a mené la danse ? Le récit et les leçons d'une crise planétaire, Antoine Flahault, médecin épidémiologiste et directeur de l'Institut de santé globale de Genève, tire les leçons d'un an de pandémie à coups de comparaisons internationales et de portraits. Invité de Patrick Cohen mercredi dans Europe Midi, il a suggéré que la France s'inspire de pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui ont été les champions de cette crise sanitaire en appliquant une stratégie zéro Covid.
"Je ne me permettrais pas de juger les décisions politiques des uns ou des autres en Europe. Mais en ce moment où l'on n'est pas dans une période de croissance exponentielle grave du virus, on peut amener différents éléments ou différentes stratégies possibles dans le débat public. Et même dans le débat démocratique. Il y a d'autres solutions que de ne réagir que lorsque l'on est dans une situation explosive."
"Les Européens courent toujours derrière la courbe"
Antoine Flahault a notamment pris l'exemple du confinement strict annoncé le 4 janvier dernier par Boris Johnson. "En Grande-Bretagne, le système de santé publique britannique disait que si l'on continuait à ce rythme, qui était exponentiel, trois semaines plus tard, les Anglais ne pourraient plus être soignés. Alors, il n'a pas eu d'autres choix que de décider d'un confinement strict. Et c'est un peu la façon dont les Européens réagissent : ils réagissent bien, mais toujours en courant derrière une courbe épidémique."
Ce professeur à la faculté de médecine de Genève propose, avec d'autres scientifiques européens, de faire précisément l'inverse. D'après lui, il s'agirait plutôt de s'inspirer des populations plus proactives que réactives, à l'image des Asiatiques ou de celles du Pacifique. Celles-ci ont tendance à empêcher la circulation du virus au moment de la décrue en ne la laissant plus remonter. Ce qui permet d’imaginer une vie sans le virus, comme en Australie ou en Nouvelle-Zélande.
Certes, cela demande des mesures parfois drastiques. "Ce sont des pays qui ont reconfiné pour trois cas en Nouvelle-Zélande et huit en Australie", reconnaît Antoine Flahault. Mais ces reconfinements sont minimes, "respectivement trois jours et cinq jours".
Le bénéfice, en revanche, est important. "On pourrait franchement envier Melbourne. Juste avant le confinement, il y avait 30.000 spectateurs non masqués dans une arène pour regarder l’Open d’Australie, on pouvait aller dans les bars et les restaurants le soir et la vie est beaucoup, beaucoup plus relax. Et c’est pareil au Japon.”
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Comme l'explique l'épidémiologiste, ce que recherchent ces pays, c'est de supprimer le plus possible la circulation du virus, de façon à pouvoir vivre dans un état "à peu près normal". "Il faut avouer que quand on est sur une petite île au milieu de l'Atlantique ou du Pacifique, c'est probablement plus facile à mettre en œuvre", reconnaît-il par ailleurs.
Une concertation européenne nécessaire
"Pour mettre en place cette stratégie chez nous, il faudrait que toute l'Europe soit d'accord et mette en place de très stricts contrôles sanitaires aux frontières. Il faudrait donc une concertation européenne préalable." Mais rien d'impossible, estime Antoine Flahault. "À terme, des pays comme l'Allemagne, le Danemark ou les Pays-Bas pourraient vouloir justement une stratégie zéro Covid parce qu'ils arrivent en zone verte, c'est-à-dire en décrue après un confinement strict."
Une volonté qui aurait forcément des conséquences sur les autres États. "À ce moment-là, ils pourraient demander à la France ou la Belgique, par exemple, s'ils souhaitent participer à cette stratégie. Et si ce n'est pas le cas, ils pourraient refuser de voir les ressortissants de ces pays venir chez eux sans des mesures très, très fortes."
Didier Raoult, des "fulgurances précieuses" mais un personnage trop "clivant"
Dans son livre, Antoine Flahault consacre également un chapitre à Didier Raoult. Selon lui, "beaucoup des fulgurances ou des positions" du professeur de médecine marseillais "étaient très précieuses et auraient été très utiles si elles avaient été adoptées en France", notamment celle de dépister massivement très tôt, mise en place à l'IHU de Marseille. Mais Didier Raoult a eu le tort d'être "clivant", ce qui a empêché ses bonnes idées d'infuser et d'être adoptées.
L'épidémiologiste établit également un parallèle entre Didier Raoult et Galilée, persuadés tous deux d'avoir raison contre la terre entière. "Tous les chercheurs sont un peu comme ça à la suite d'une recherche", reconnaît Antoine Flahault. "Mais il faut absolument que l'enthousiasme se mette un peu en retrait à un certain moment, pour avoir une évaluation objective. Parfois, cette évaluation objective ne conclut pas en votre faveur, et là il faut s'incliner. C'est comme ça, à mon avis, que fonctionne la démarche scientifique."