L’INFO. De la bouche de Philippe Marlière, l’un des spécialistes français de l’ADN, la science a franchi un “cap symbolique historique”. Pour la première fois, des scientifiques américains ont réussi à créer un brin de l’acide désoxyribonucléique à moitié synthétique. Cette nouvelle étape ouvre un peu plus la porte au développement de la biologie de synthèse qui permet la création ou la modification d’êtres vivants. Des applications concrètes de ce savoir pourraient bientôt être réalisées et utilisées à grande échelle.
De l’ADN mi-naturel ? L’ADN est une molécule composée de quatre éléments : l’adénine (A), la thymine (T), la cytosine (C) et la guanine (G). Ces éléments fonctionnent par paires : l’adénine et la thymine d’un côté et la cytosine et la guanine de l’autre. C’est l’agencement de ces paires entre elles et l’ordre dans lesquelles elles sont codées qui créé la diversité de l’être humain.
Selon l’étude qu’ils ont publié dans la revue scientifique Nature, les chercheurs californiens ont réussi à créer deux nouveaux éléments synthétiques (non-naturels) et à les intégrer dans la double-hélice de l’ADN d’une bactérie. Plus fort encore, plus de 90% des organismes issus de la bactérie modifiée avaient reproduit ces éléments.
Ce que ça change. Concrètement, grâce à la modification d’une cellule par de l’ADN non-naturel, on a réussi à créer des organismes génétiquement modifiés. Jusque là, les OGM étaient modifiés en utilisant les éléments naturels de l’ADN. Le travail des scientifiques américains permet d’envisager la création d’autres éléments auxquels ont donnerait des propriétés qui nous intéressent.
Différents outils naturels vont donc pouvoir être créés à grande échelle pour...
Attraper les voleurs. En février 2013, la police scientifique française avait réussi à interpeller un homme qui avait agressé des facteurs et volé leurs colis à Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis. Les cartons avaient été “piégés” par un ADN synthétique qui s’est rapidement répandu sur les vêtements du délinquant. Grâce à une lampe ultraviolet, les forces de police avaient ainsi pu détecter ces traces et arrêter l’homme.
Premier essai grandeur nature d’un tel dispositif, c’est l’une des rares applications de la biologie synthétique déjà testée. Elle reste néanmoins assez limitée à l’heure actuelle. “Dans un avenir proche, on pourrait imaginer l’utilisation de l’ADN synthétique pour identifier les auteurs d’émeutes urbaines”, confiait alors à Europe 1 Laurent Pène, ingénieur en chef au laboratoire de l’Institut national de la police scientifique à Lyon.
Faire le plein. Principale piste de recherche de plusieurs laboratoires américains, l’ADN synthétique pourrait très bientôt devenir une source d’énergie importante, et notamment pour faire fonctionner les voitures. En effet, de nombreux chercheurs tentent de “faire travailler” la bactérie E-Coli en lui faisant transformer la cellulose contenue dans les végétaux en biodiesel.
Jay Kiesling, un chercheur de l’université de Californie à Berkeley, est le premier à réussir la prouesse en 2010. Il avait modifié la bactérie, plus connue en France pour avoir contaminé des steaks surgelés, en la mettant au travail. Deux ans plus tard, il améliorait encore son procédé en rendant la bactérie trois fois plus efficace.
Stocker des données. Aussi étonnant que cela puisse paraître, beaucoup de scientifiques pensent à l’ADN pour remplacer nos bons vieux disques durs externes. En théorie, quelques grammes de la molécule pourraient contenir des quantités astronomiques d’informations pendant des milliers d’années.
Début 2013, une équipe européenne basée à Londres a d’ailleurs déjà réussi à stocker différentes données dans de l’ADN. L’équipe de Nick Goldman avait inscrit, puis décodé, un enregistrement du discours “I have a dream” de Martin Luther King, une photo de l’institut de recherche, une copie d’un article fondateur concernant la structure de l’ADN et l’ensemble des sonnets de Shakespeare sur petit bout de la molécule.
Tester notre santé. Principal rendez-vous international de l’innovation en matière de biologie synthétique, le concours IGEM fait s’affronter chaque année des étudiants à travers le monde. En 2009, le projet E.chromi de l’équipe de l’université de Cambridge était sorti du lot. Les étudiants avaient développé une bactérie capable de se colorer d’une certaine façon en fonction de ce avec quoi elle rentre en contact.
Introduites dans des bouteilles de lait par exemple, les étudiants avaient imaginé que les bactéries pourraient ainsi inspecter tous les jours nos intestins à la recherche de toxines ou de cellules cancéreuses. Il ne suffirait plus que de faire un tour aux toilettes pour connaître le résultat de son examen de santé quotidien.
Rendre Mars habitable. Toujours issue du concours IGEM, l’idée proposée par une équipe de l’université de Séville en 2010 tient quasiment de la science-fiction. Les étudiants avaient proposé d’envoyer un type de levure génétiquement modifié sur la planète rouge. L’objectif : assombrir la planète afin de la rendre vivable pour l’être humain.
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