Séquencer l'ADN, un nouvel enjeu de pouvoir : "La génétique est une arme puissante"

Connaître le génome d'une population permet aussi de cerner les médicaments auxquels elle est susceptible de mieux répondre.
Connaître le génome d'une population permet aussi de cerner les médicaments auxquels elle est susceptible de mieux répondre. © GREG BAKER / AFP
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Carol Isoux, édité par Romain David
La Thaïlande a lancé un programme national de séquençage du génome de 50.000 Thaïlandais. Au micro d'Europe 1, le professeur Vorasak Chotleusak, qui pilote ce vaste projet, explique de quelle manière la génétique, et ses implications médicales, sont devenues des leviers géopolitiques.
INTERVIEW

Ces dernières années, la démocratisation des tests ADN a initié une révolution de la généalogie et réveillé des quêtes d’identité. Ils sont de plus en plus nombreux, ceux qui souhaitent se placer précisément dans leur arbre généalogique, en compléter les branches manquantes ou découvrir leurs origines. Mais l’ADN n’éclaire pas seulement le passé. Il permet aussi de préparer le futur, à travers de nombreuses implications dans la recherche scientifique, médicale notamment.

Ainsi, en Thaïlande, le professeur Vorasak Chotleusak dirige le programme national de séquençage du génome de 50.000 Thaïlandais, une tâche titanesque pour sa toute petite équipe, installée dans un laboratoire à l’université de Bangkok. Ce projet doit aider à mieux soigner les populations du Sud-Est asiatique.

Interrogé par Europe 1, Vorasak Chotleusak explique combien il est important pour chaque pays de développer sa propre base de données génétiques, car la majorité des données sur lesquelles travaillent actuellement les scientifiques, notamment pour le développement de nouveaux médicaments, proviennent de populations occidentales, ce qui peut parfois s’avérer dangereux.

Pourquoi est-il si important de connaître son génome pour être mieux soigné ?

"Chacun de nous répond à son environnement, y compris aux produits chimiques et aux médicaments, de façon différente. Une grande partie de cette réponse est dictée par des facteurs génétiques. Dans un futur plus ou moins proche, nous aurons notre génome consigné dans notre dossier médical. Ainsi, lorsque l’on aura besoin d’un traitement, le médecin pourra voir quel type de médicament, et à quelle dose, est approprié pour cet individu en particulier, en fonction de son génome. C’est ce qu’on appelle la pharmacogénétique.

C'est donc la raison pour laquelle la Thaïlande initie son propre programme de séquençage ? 

Le problème c’est que dans les pays en voie de développement, il est plus simple et moins cher de reprendre exactement les études qui ont été effectuées sur d’autres types de populations.

Existe-t-il des exemples de médicaments, efficaces sur des populations européennes, qui se sont révélés dangereux pour d’autres populations ?

Oui, plein. Par exemple la carbamazépine, un antiépileptique. Chez les populations d’Asie du Sud-Est et du sud de la Chine, le gène appelé HLA a souvent une forme particulière. Tout le monde le possède, mais il existe des variations différentes chez les humains, ce qui ne l’empêche pas d’être fonctionnel. Environ 8 à 10% de la population du Sud-Est asiatique possède une forme particulière de ce gène. Or, si vous possédez cette variation, vous avez un millier de fois plus de chances d’être allergique à ce médicament.

À vous entendre, on a l’impression que la génétique se dote aussi d’un un enjeu géopolitique, car le pays qui mène la course au génome, celui qui a le plus de données sur sa population, définit aussi la norme de l’être humain. Est-ce une forme de domination ?

Comme dans toutes les nouvelles technologies, celui qui remporte la course définit les règles. Donc cela dépend beaucoup du leader, de sa vision et de ses raisons pour vouloir être le leader. Est-ce qu’il veut la paix ou la guerre ? Car oui, la génétique peut être une arme extrêmement puissante.

Aux Etats-Unis, ils sont en train de séquencer un million d’individus. En Angleterre, ils viennent de lancer un projet pour en séquencer 5 millions. Mais en Chine, c’est beaucoup plus que ça, on parle de plus 100 millions d’individus…

La génétique a des applications en sciences sociales, en histoire pour retracer les mouvements de population, mais maintenant on parle aussi de "génopolitique", l’idée selon laquelle la génétique définit notre comportement politique.

Notre rapport à la génétique trahit aussi nos différences culturelles. Les Occidentaux sont obsédés par le passé, les Américains raffolent des tests qui leur permettent de savoir d’où ils viennent. Mais ces tests, vous ne pouvez pas les vendre aux Chinois, ils s’en fichent. Eux, ce qui les intéressent, c’est le futur. Est-ce que mon enfant sera un artiste ? Un grand pianiste ? Un athlète ? Un scientifique ? Vendez le passé aux européens, le futur aux Chinois !"