"On ne devrait pas se poser la question, en 2017, de savoir si un enfant de 9 ans ou de 11 ans a pu être consentant pour accepter un rapport sexuel avec un adulte", a estimé lundi Marlène Schiappa, secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes. "À cet âge là, on n'a pas la maturité affective, on n'a pas la connaissance de ce qui nous atteint", a-t-elle poursuivi, à la lumière de deux exemples d'actualité récents. Celui d'un homme de 28 ans ayant eu deux relations sexuelles avec une enfant de 11 ans, mais que le parquet de Pontoise a choisi de ne pas poursuivre pour viol, fin septembre, l'absence de consentement n'étant pas caractérisée. Et celui d'un homme de 30 ans, renvoyé devant les assises pour une relation avec une fillette du même âge, mais acquitté car "les éléments constitutifs du viol n'étaient pas établis", la semaine dernière.
Plusieurs propositions de loi. En France, l'article 227-25 du Code pénal définit en effet le viol selon les mêmes termes pour toutes les victimes, quel que soit leur âge. Un majeur ayant eu des relations sexuelles avec un mineur de moins de 15 ans est ainsi systématiquement poursuivi pour "atteinte sexuelle", mais il ne l'est pour viol que si "la violence, la contrainte ou la surprise" a pu être caractérisée par la justice. Comme d'autres membres du gouvernement ces derniers jours, Marlène Schiappa se prononce donc en faveur d'une modification des textes, pour instaurer une présomption de non-consentement "dès lors que l'enfant est d'un âge inférieur à un certain seuil". Mais à quel âge le fixer ? La question "est en train d'être débattue", et la limite devrait se situer "entre 13 et 15 ans", selon la secrétaire d'État.
"Cette fourchette de deux ans, c'est une question extrêmement sensible", commente la députée LR Bérengère Poletti. Comme quelques autres parlementaires, elle est de ceux qui ont déposé une proposition de loi dans ce sens dès "l'affaire de Pontoise", avant que le gouvernement ne s'empare du sujet. "Mais nous n'avons pas tous retenu le même âge", explique l'élue des Ardennes. Elle, sage-femme de profession, estime que le seuil devrait se situer à 14 ans. "J'ai déjà accouché de très jeunes filles qui voulaient un enfant, dans un département où les grossesses précoces sont nombreuses. Et à la fois je le ressens comme l'âge en deçà duquel on ne peut pas descendre." Elle confie avoir "hésité" à placer le curseur à 15 ans, l'âge de la majorité sexuelle.
" Les mœurs évoluent et certains adolescents peuvent avoir des relations consenties "
Plusieurs de ses homologues ont choisi cette option. "Par souci d'homothétie juridique", explique Patrick Mignola, député LREM de Savoie, également auteur d'une proposition de loi. "Mais maintenant que le gouvernement s'est saisi de la question, on peut imaginer abaisser légèrement cet âge. Les mœurs évoluent et certains adolescents peuvent avoir des relations consenties." La sénatrice PCF Laurence Cohen, qui a également fixé le seuil à 15 ans dans sa proposition de loi, a elle été marquée par "les témoignages sur les traumatismes que peuvent représenter les viols sur mineurs". "Ce qui m'a guidée, c'est vraiment la protection des victimes. À 13 ans, on me semble encore petit dans sa tête, surtout face à un adulte."
"La France a énormément de retard". Dans leur quête du "bon" seuil, les élus interrogés par Europe1.fr ont tous procédé à l'audition de plusieurs spécialistes mais n'ont trouvé que peu de littérature sur laquelle s'appuyer. "La France a énormément de retard", déplore Muriel Salmona, psychiatre et président de l'association Mémoire Traumatique et victimologie. En octobre 2016, un avis du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) proposait que "l'âge de 13 ans soit retenu comme seuil en dessous duquel les mineur.e.s seront présumé.e.s ne pas avoir consenti", en "s'inspirant des exemples" d'autres pays européens déjà dotés d'une présomption d'absence de consentement. Le document citait notamment l'Espagne, le Danemark, l'Angleterre ou encore l'Autriche, États ayant tous fixé l'âge limite entre 12 et 14 ans.
"Mais le HCE utilisait des chiffres datant de 2004", souligne Muriel Salmona. "Depuis, dans plusieurs Etats, le seuil a été relevé parce que la connaissance autour de l'impact des violences sexuelles, y compris 20, 30 ou 40 ans après, s'est beaucoup améliorée." En Espagne, la limite est ainsi passée de 12 à 16 ans. "Si on optait pour 13 ans aujourd'hui, on serait presque le pays avec l'âge le plus bas en Europe, ce n'est pas tolérable", assène la psychiatre. "C'est beaucoup trop jeune, il y a une vraie distorsion au niveau du développement, qui fait que l'enfant ne peut pas avoir un consentement éclairé." L'âge de 15 ans lui semble "probablement le plus adapté" en France. "On peut considérer que l'adolescent est plus indépendant dans son jugement, mais aussi plus informé sur la sexualité."
" Une fois que ce sera inscrit dans la loi, le juge n'aura plus le choix "
Principal argument contre ce seuil aligné sur la majorité sexuelle : le caractère "systématique" des condamnations, que font valoir nombre d'acteurs du monde de la justice, dont Katia Dubreuil, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. "Peut-on vraiment affirmer qu'en-dessous de 15 ans, un mineur ne peut jamais consentir à un acte sexuel ?", interroge-t-elle. "Qu'un mineur de 14 ans, par exemple, qui aurait une histoire d'amour avec un jeune de 18 ans, aurait forcément été violé, sans que ça souffre d'aucune discussion ? Une fois que ce sera inscrit dans la loi, le juge n'aura plus le choix en fonction de la spécificité du cas dont il est question."
"Dans le cadre d'une plainte". "Quel que soit l'âge retenu, il ne s'agira pas de condamner un ado qui a eu une relation sexuelle avec un autre", tempère Patrick Mignola. "Il faudra que tout cela se déroule dans le cadre d'une plainte. Ce n'est en aucun cas de la défiance faite au juge : l'actualité récente nous a simplement démontré l'existence d'un vide juridique." Et de rappeler que la ministre "entendra des médecins et des magistrats", pour "faire un choix éclairé". Bérengère Poletti renchérit : "les cas sont tellement singuliers que l'on ne peut pas se cacher derrière une quelconque étude scientifique. Oui, on prend un risque en fixant un seuil. Mais le plus grand risque, c'est celui que l'on laisse courir aux victimes aujourd'hui."