Depuis une semaine, les médias proposent déjà des documentaires et des témoignages sur le sujet. Tous ou presque préparent leurs éditions spéciales pour ce week-end. Car dimanche, la France commémorera la première date anniversaire des attentats de Paris. A l'occasion, l'Etat et la mairie de la capitale ont également prévu plusieurs cérémonies, courtes et sobres, sur chacun des lieux des attaques.
"Conformément au souhait de la Ville et des associations de victimes […] ces cérémonies seront marquées par une grande sobriété […] en laissant place autant que possible au recueillement spontané de tous les Parisiens", indique la mairie de Paris. Concrètement, les commémorations débuteront à 9 heures au Stade de France, premier site touché. Sur chaque site, le nom de chaque victime sera lu, en présence de François Hollande, d'Anne Hidalgo, et de la secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes, Juliette Méadel. Les associations de victime organiseront elles aussi un temps d'hommage, dans le 11e arrondissement de Paris. Mais en quoi ces commémorations sont-elles nécessaires ?
" C'est une forme de reconnaissance de la nation. Une manière de dire : 'nous sommes à vos côtés' "
"Nous sommes un an après. Ce sera un moment douloureux, une période triste, dure, qui s'inscrit dans un processus de reconstruction qui sera long. La commémoration représente donc un moment de reconnaissance de cette souffrance", estime Aline Le Bail-Kremer, représentante de l'Association française des victimes du terrorisme (AfVT). "Cela donne le sentiment de ne pas être oublié, que la nation n'est pas passée à autre chose. Cela permet de reconnaître que c'est encore d'actualité pour les victimes, dans leur vie et dans leurs choix. Le pire serait de les laisser dans l'indifférence et l'oubli. Il y a plusieurs façons de commémorer. Mais je pense que c'est important de le faire aussi de manière institutionnelle et nationale. C'est une forme de reconnaissance de la nation. Une manière de dire : 'nous sommes à vos côtés'", insiste-t-elle.
Dominique Szepielak, psyphologue et psychothérapeute en charge de plusieurs victimes, confirme : les victimes ont besoin de ne pas se sentir oubliées. "Un traumatisme est quelque chose de terrible. C'est une infraction extérieure violente qui perturbe la vie de tous les jours, la vie professionnelle, familiale, sociale. Il est important que la société reconnaisse cet impact", argumente le thérapeute. "La première année, la société, l'Etat, tout le monde prend en compte la douleur. Le risque est qu'ensuite la société oublie, que les victimes s'entendent dire 'c'est bon, passe à autre chose'. Une commémoration permet de leur faire comprendre que cela n'est pas le cas", poursuit-il. "Pour certains, cela peut faire ressurgir des souvenirs, des flashs, des éléments qui surgissent de manière intrusive. Cela peut avoir un aspect violent", reconnaît le psychologue. "Mais en même temps il est terrible de s'isoler, de tout faire pour oublier et de ne pas se faire prendre en charge. Une commémoration peut aussi servir à ça. A pousser les gens à se dire : 'je vais me prendre en charge'", renchérit-il.
" Une commémoration pour se lamenter, ça ne vaut pas le coup "
Selon Dominique Szepielak, ces commémorations ne sont d'ailleurs pas destinées aux seules victimes. En clair, elles sont nécessaires à la France entière. "Il est important que tout le monde reconnaisse que le drame n'a pas touché une personne, mais que c'est la société qui a été attaquée. Le quidam doit se sentir concerné, ça aurait pu lui arriver. Ça pourrait encore lui arriver, n'importe où, n'importe quand. On me demande souvent 'comment peut-on rassurer les gens' ? Mais comment voulez-vous que je les rassure ? Je ne peux pas assurer que cela ne se reproduira pas", poursuit Dominique Szepielak.
"Une commémoration permet de se rappeler que l'on vit dans un monde potentiellement dangereux. Il s'agit aussi de dire : 'maintenant, qu'est-ce qu'on fait'", abonde le psychiatre et psychanalyste Simon-Daniel Kipman, auteur de l'Oubli et ses vertus. Pour lui, toutefois, il s'agit aussi de donner un sens précis à ces commémorations. "Il est important de se souvenir de l'extraordinaire réaction des Français. Il y a des gens qui ont ouvert leurs maisons, il y a eu une incroyable réaction du personnel médical, des forces de l'ordre etc. Si c'est une commémoration pour se lamenter, ça ne vaut pas le coup. Si c'est pour dire : 'on a été dans la merde, on a réagi', ça donne une autre dimension", renchérit le psychanalyste.
" Cela pourrait permettre de réamorcer un récit, de délimiter une temporalité "
"Est-ce que ces commémorations peuvent réveiller des angoisses ? C'est possible", admet pour sa part Sébastien Ledoux, Historien à l'Université Paris 1 et auteur de Le devoir de mémoire. Une formule et son histoire. "Dans une logique de reconstruction, cela peut être difficile pour certains. Cela peut re-déstabiliser. Certains ont d'ailleurs dit qu'ils allaient prendre de la distance avec ces commémorations. Chacun sa stratégie de survie. Car il y a bien quelque chose de l'ordre du survivant, d'une stratégie psychique de défense", décrypte-t-il.
Selon l'historien, toutefois, la nation toute entière peut profiter de ce temps d'hommage. "Sur un délai aussi bref, cela pourrait permettre de ré-amorcer un récit, de délimiter une temporalité, un avant et un après, de marquer une étape chronologique mais aussi une séparation avec ce qui s'est passé. Pour certains, cette forme de récit peut permettre une prise de distance, en intégrant des enjeux symboliques, comme la fraternité par exemple. Cela pourrait permettre d'identifier du sens plutôt que de rester dans la douleur", analyse Sébastien Ledoux. Qui prévient, tout de même : "cela reste du conditionnel. C'est une question délicate, nous sommes encore dans un contexte de menace, c'est la première commémoration. Il est difficile pour tout le monde d'avoir du recul".