Cris, jets de pop corn, discussions à voix haute mais aussi bagarres et même arrachage de sièges… voilà en quelques mots le comportement d'adolescents déchaînés lors des projections du film d'horreur Annabelle. Pour des raisons de sécurité, plusieurs directeurs de cinéma ont déprogrammé le film à Marseille, Strasbourg et Montpellier. Délinquance, désinhibition ou résultat d'un marketing très teenage ? Europe 1 a essayé d'expliquer ces incidents.
>> LIRE AUSSI - Annabelle sème la pagaille au cinéma
Une interdiction d'âge mal choisie ? Le film Annabelle est interdit aux moins de 12 ans. Suffisant ? La question peut se poser devant les débordements que le film a suscités. Pour Bruno Cras, spécialiste cinéma d'Europe 1, le problème ne vient pas de là : "On interdit aux moins de 16 ans des films vraiment plus hard qu'Annabelle et puis, des films très violents où des hommes s'entretuent sont autorisés à tous".
Olivier Pérou, journaliste culturel au Point contacté par Europe 1 n'est pas du même avis : "Interdire aux moins de 12 ans, c'est trop peu. La peur joue sur le psychologique, c'est une forme de violence selon moi".
Une classification en partie "subjective". C'est le Centre national du cinéma et de l'image animée qui donne aux films les interdictions d'âge. Contacté par Europe 1, il a refusé de communiquer sur un film en particulier mais reconnaît cependant que " la classification comprend une part majeure de subjectivité et constitue un exercice difficile à théoriser". Il n'existe donc pas vraiment de méthodologie ni de grille d'évaluation. Une commission, puis une assemblée plénière, votent démocratiquement pour décider du niveau d'interdiction à imposer à un film.
>> LIRE AUSSI - Malaise chez les ados : les écrans pointés du doigt
"L'horreur, projection de ses propres angoisses". Pour le pédopsychiatre Stéphane Clerget contacté par Europe 1, le film d'horreur, plus que les autres films, fait réagir les jeunes : "Pour l'adolescent, qui est par nature inquiet et qui vit dans son corps des transformations, le film d'horreur est comme un miroir. Il voit dans le film d'horreur ses propres angoisses et, chose nouvelle dans le cas d'Annabelle, il est libre d'exprimer ses émotions car il est entouré de ses pairs qui ne sont pas dans le jugement". Le pédopsychiatre souligne que dans unetelle situation, "ce sont les garçons surtout qui se font remarquer, ils se 'libèrent' de l'angoisse en utilisant le moyen le plus économique : l'agressivité".
"Par conséquent, les ados ne jouent pas ici à se faire peur, ils ont réellement peur et l'expriment à leur manière", ajoute Stéphane Clerget.
Effet de groupe ? On connaît l'importance des "copains et copines" dans la vie d'un ado. Pour autant, il ne faut pas voir d'effet de groupe dans les réactions face à Annabelle mais plutôt un "effet d'entraînement", selon le Dr Clerget. "L'ado est attiré par le film d'horreur mais il a aussi très envie de voir ses amis, c'est une occasion de 'communier' en quelque sorte, comme faire une sortie à la fête foraine". L'absence des parents et l'obscurité ambiante n'arrangent évidemment rien, conclut le pédopsychiatre.
Les délinquants et les autres. Mais selon le médecin, tous les adolescents ne sont pas à mettre dans le même sac : "on a d'un côté ceux qui gèrent très mal leur angoisse ou qui ont été mal éduqués et qui tombent tout de suite dans la violence". Et puis, il y a les autres "qui profitent juste de la situation pour déraper". D'où l'éventail de comportements observés dans les salles, du cri pas très discret au vol pur et simple et à la dégradation.
Le résultat d'une stratégie marketing ciblée. Il ne faut en tout cas pas s'étonner de l'affluence des ados dans les salles. Le plan média d'Annabelle a investi les radios et autres émissions de télé appréciées des adolescents. La poupée Annabelle a ainsi valsé entre les bras de Difool sur Skyrock, Matthieu Delormeau (NRJ 12) et Cauet (NRJ). Chacune de ces apparitions étaient évidemment relayée et largement partagée sur les réseaux sociaux.
La poupée #Anabelle avec @Romano2skyrock et #Difool dans la #RadioLibre ! pic.twitter.com/VTOMcfvUyt— Skyrock FM (@SkyrockFM) 10 Octobre 2014
L'emballement des réseaux sociaux. Les ados rencontrent aussi Annabelle sur les réseaux sociaux. Le film a beaucoup misé sur Twitter et Facebook où un compte a été ouvert début août. Pas étonnant selon Olivier Pérou, journaliste culturel au Point : "Les films à petit budget, comme l'est Annabelle, n'ont pas d'autres choix que de faire leur promotion sur les réseaux sociaux car ça ne coûte quasiment rien". Avec succès puisque le jour de sa sortie, le film était le sujet le plus discuté sur Twitter. Et les adolescents se sont fait un plaisir de relayer la promo du film, avant même sa sortie, le 8 octobre.
Avec Ophélie on a regarder la bande annonce de #Anabelle mdr il fait peur mais on en rigolais mdddr — Marion ∞ (@MarionBrtn) 7 Octobre 2014
La poupée maléfique a même été détournée, pour le plus grand plaisir des internautes. Elle a notamment fait l'objet d'une vidéo "comique" partagée 58.000 fois sur Facebook. Et des selfies d'Annabelle circulent avec succès sur les comptes twitter des ados.
J'ai le facebook de #Anabelle mddddr pic.twitter.com/e4oryecsoG— #Y'aDesFousPartout ❤ (@valouu59123) 13 Octobre 2014
Recherche de buzz ? Contacté par Europe 1, le service presse du film Annabelle refuse de communiquer sur les incidents en cours. Un bad buzz qui fait leur affaire ? "Pas vraiment", selon Bruno Cras, "c'est pas bon du tout, ça fait fermer des salles". Un constat que nuance Olivier Pérou: "C'est un bad buzz qui peut faire du bon buzz. Comprenez, les incidents font parler du film et attirent donc encore plus de monde".
Tiens de la publicité gratuite pour #Anabelle, c'est Warner qui doit être content. On parle du film APRÈS sa sortie. pic.twitter.com/xMfScCHbb8— Cinécomça (@Cinecomca) 14 Octobre 2014
>> LIRE AUSSI - La "souffrance psychologique" des ados français
Stéphane Clerget a écrit "Le guide de l'ado à l'usage des parents", publié chez Poche