36, quai des Orfèvres. L'adresse est mythique : de Landru ou Violette Nozière à Jacques Mesrine ou Guy Georges, le siège de la Police judiciaire de Paris a vu défiler les protagonistes des plus grandes affaires criminelles du siècle passé… et les plus fins limiers de la police.
Le "36" n'est pas totalement inconnu du grand public : d'abord, parce que les enquêtes de la Brigade criminelle de Paris alimentent régulièrement les rubriques fait divers des médias, mais aussi parce que la Crim’ a inspiré nombre de séries télé - du commissaire Moulin sur TF1 à Engrenages sur Canal + - et de romans policiers… à commencer par ceux de Georges Simenon et son commissaire Maigret.
Alors que la Brigade criminelle de la Préfecture de police de Paris fête ses 100 ans ce vendredi, un journaliste d'Europe1 a pu passer deux jours au 36, quai des Orfèvres. L'occasion de découvrir - loin des clichés des séries télé - comment fonctionne cette brigade d'excellence.
"Ces lieux sont magiques, empreints d'histoire"
Le 36, une atmosphère "particulière". Le 36, quai des Orfèvres, c'est avant tout un décor : un bâtiment avec une "tour pointue" sur l'île de la Cité, les 105 marches en lino noir du grand escalier, les murs vieillis un peu jaunis et l'enfilade de petits bureaux.
"Il y a truc particulier quand on arrive au 36", confie Sophie, lieutenant de police, au micro d'Europe1. "D'abord, c'est beau. Le cadre est magnifique, et puis ces lieux sont magiques, empreints d'histoire… On pense à toutes ces personnes qui ont monté les marches, que ce soit des grands flics ou des grands voyous".
Héritière des Brigades du Tigre, la Brigade criminelle de Paris a vu le jour par décret du Conseil de Paris le 29 juin 1912 pour mettre fin aux braquages sanglants perpétrés par la bande à Bonnot. Les enquêteurs y ont longtemps porté le costume cravate.
Sur le terrain, "la course après le temps". Lorsque le reporter d'Europe1 s'est rendu au 36 Quai des Orfèvres, ce n'était pas un jour comme les autres. La veille, un couple de Chinois s'était accusé d'un double meurtre. En ce dimanche matin, les enquêteurs filent donc au bois de Vincennes pour retrouver les corps des victimes sur les indications de l'une des personnes mises en cause. Cette fois, l'enquête devrait être "assez rapide".
Sur le terrain, "on a peu de temps devant nous, on court après : c'est pour cela que lorsque l'on a une garde à vue à gérer on ne dort pas beaucoup. Il faut confondre les suspects pour les présenter à la justice", explique le commandant Meyer. Au même moment d'ailleurs, pour gagner du temps, d'autres enquêteurs inspectaient, à quelques kilomètres de là, la scène de crime : l'appartement des suspects.
"On n'est pas toujours sur le terrain à faire des filatures"
Beaucoup de "travail de dossier". Si le terrain est une réalité, le métier d'enquêteur est avant tout studieux, "un travail de bureau", comme l'a confié le commissaire Deau au micro d'Europe1.
Pour lui, la réalité du quotidien est bien loin de la vision du grand public entretenue par les séries télé : "on n'est pas toujours sur le terrain à faire des filatures, à discuter avec des suspects qui avouent tout de suite ou à trouver immédiatement la petite particule qui va permettre de retrouver l'assassin… c'est malheureusement plus compliqué." Un travail de longue haleine, à mille lieues des Experts.
De la "culture de l'aveu" à la "culture de la preuve". En 100 ans, les techniques de la Crim' ont bien changé. L'arrivée de l'ADN, notamment, a tout révolutionné. "La justice est de moins en moins dans la culture de l'aveu et cherche de plus en plus à avoir des preuves techniques et scientifiques", précise Sophie, la lieutenant de police rencontrée par Europe1.
Sa fonction ? "Procédurière". Elle vérifie tous les points de la procédure dans les moindres détails pour éviter que les avocats ne s'engouffrent dans un vice de forme. Contre le mur de son bureau : deux gros sacs remplis d'enveloppes, des scellés, contenant des prélèvements ADN.
Des crimes de sang, mais pas uniquement. La Brigade criminelle de Paris est saisie dès que se profile une enquête longue et difficile. Il peut s'agir de crimes de sang, ce que l'on appelle dans le jargon "le droit co", le droit commun : en clair, des homicides. Les protagonistes de ces affaires peuvent être aussi bien des tueurs en série "illustres", comme le Docteur Petiot, que des maris jaloux anonymes.
Autres compétences de la Crim' : les affaires d'enlèvements ou d'incendies volontaires mais aussi les affaires dites "sensibles" impliquant, par exemple, des personnalités comme ce sera le cas, en 1997, avec l'accident mortel de Lady Diana. Avec la section antiterroriste, les attentats - comme ceux de 1995 - font également partie des prérogatives de la Crim'.
Spécificité de cette section : beaucoup de fausses alertes comme l'a raconté un policier de la SAT au micro d'Europe1: "une menace, un mail, un appel 'cabine' qui dit 'ça va exploser' et il faut tout de suite réagir et déterminer si la menace est réelle ou non. Dans 99,99% des cas heureusement, on est sur une plaisanterie. Mais cela peut-être aussi le 0,001% qui sera à l'origine d'une crise majeure".
"C'est ma vie"
Le rêve de tout policier. "Bonjour c'est la police, la criminelle. Rassurez-vous, c'est ce qui se fait de mieux". La réplique de Louis Jouvet dans le film de Clouzot, quai des Orfèvres, dit bien l'excellence que l'on prête à la Crim'. Aujourd'hui encore, c’est l’unité que la plupart des élèves rêvent d'intégrer à la sortie de l’école de police.
Au micro d'Europe1, David parle toujours avec enthousiasme de sa première année au "36" : "j'ai pris pas mal d'affaires cette année-là, dont l'affaire du tueur de l'Est parisien, Guy Georges. Lorsqu'il a été identifié, on a passé 48 heures dehors. J'ai eu la chance de connaître cette affaire-là". "Cela fait 16 ans et c'est ma vie : 10 heures par jour… plus quelques nuits et des week-ends", ajoute-t-il.
La Crim', Sophie en rêvait elle aussi : "le crime est l'acte le plus antisocial qui existe. Il faut protéger la société, il faut arrêter les assassins, arrêter la personne qui a ôté la vie à quelqu'un".
Une centaine d'enquêteurs travaillent à la Crim', un luxe estiment certains. Dans cinq ans, une page va se tourner : la Crim' quittera le Quai des Orfèvres pour le quartier des Batignolles. La plupart des policiers de la brigade le regrettent déjà.