La question. L'armée française a-t-elle laissé mourir 63 migrants au large de la Libye en 2011 ? C'est ce qu'affirme deux des rescapés de ce voyage au bout de l'enfer qui ont déposé une plainte pour "non assistance à personne en danger". Ils demandent l'ouverture d'une instruction judiciaire.
72 migrants dans un zodiac. Tout commence dans la nuit du 26 au 27 mars 2011, au tout début de l'intervention occidentale en Libye. 72 migrants sont entassés dans un zodiac qui a quitté les côtes libyennes à destination de l'Italie. Mais au bout de quelques heures à peine, le moteur lâche.
Urine et dentifrice pour survivre. C'est alors le début du calvaire. Sans eau ni nourriture, 63 candidats à l'exil meurent, certains sont emportés par les vagues. D'autres sont contraints de boire leur urine et de manger du dentifrice pour survivre. Une errance qui va durer 15 jours : leur bateau échoue finalement sur les côtes libyennes le 10 avril.
Un coup de téléphone en pleine mer. Et pourtant, deux des survivants estiment que tout aurait pu se terminer bien plus tôt. Dès le deuxième jour, les migrants avaient réussi à passer un appel de détresse avec un téléphone satellitaire. Le coup de fil avait permis d'établir leur localisation. Et les garde-côtes italiens avaient relayé le message à l'ensemble des navires circulant dans la zone.
"Personne ne nous a aidés". Les deux plaignant affirment avoir vu des bateaux et des hélicoptères militaires passer à proximité de leur embarcation, sans qu'ils ne leur portent secours. "Nous avons vu beaucoup de bateaux militaires et des hélicoptères de combat. Deux hélicoptères qui ont tourné autour de nous, très bas. Ils ne nous ont pas aidés. On leur a montré, on leur a crié 'Nous avons besoin d'aide !' Mais personne ne nous a aidés", a raconté Abu, un Érythréen de 25 ans, qui a déposé plainte.
Aucun signal de détresse reçu. A Paris, le ministère de la Défense, contacté par Europe 1 affirme qu'aucun militaire n'a reçu le signal de détresse du zodiac ni vu l'embarcation à la dérive. Difficile à croire pour Stéphane Maugendre, l'avocat des survivants. "Toutes les armées disent 'on n'était pas là'. Donc on avait la mer Méditerranée pleine de bateaux militaires mais finalement personne n'y était", s'interroge-t-il.
Le problème du secret défense. Les plaignants demandent donc l'ouverture d'une instruction judiciaire qui permettrait d'enquêter sur les positions exactes des forces de l'OTAN à l'époque. Une démarche qui imposerait de lever le secret défense.
D'autres plaintes à l'étranger. Les migrants ont également lancé des procédures dans d'autres pays. Une plainte a été aisi déposée simultanément à Madrid pour "crime de guerre par non assistance à personne en danger". D'autres plaintes ont déjà été déposées en Italie, une autre suivra bientôt en Belgique, a ajouté Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH). Des procédures sont également en cours au Canada et aux Etats-Unis pour obtenir plus d'informations.