Ils baptisent leurs chocolats "négro" et "bamboula", que risquent-ils ?

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A Auxerre, des chocolats aux noms à consonance colonialiste étaient vendus depuis des années. Mais les réseaux sociaux ont eu raison de la tradition.

Peut-on baptiser ses chocolats "négro" ou "bamboula" ? Face au tollé suscité par les noms donné depuis plusieurs années à leurs produits, les gérants d'une chocolaterie d'Auxerre ont décidé, d'eux-même, de renommer leurs produits. Une décision qu'ils ont prise pour "calmer les esprits" et sans qu'aucune poursuite judiciaire ne soit, jusqu'ici, engagée à leur encontre. Mais les produits aux résonances colonialistes ont-ils toujours le droit de cité en France ? Europe 1 vous résume la situation.

Les mêmes noms depuis près de 20 ans. En 2009, quand Virginie et Grégory Feret rachètent une fameuse chocolaterie d'Auxerre, le couple n'imagine pas créer un jour la polémique. Les anciens propriétaires commercialisaient déjà les deux spécialités, baptisées "négro" et "bamboula, depuis une douzaine d'années.

A l'époque où nous avons racheté la chocolaterie, ça m'a fait tiquer, mais nous avons finalement gardé les noms", raconte Virginie Féret, l'une des gérantes de la chocolaterie, interrogée par Europe 1. Il faut dire qu'à Auxerre, ces deux spécialités rencontrent un franc succès. "Ce sont les deux produits phares de notre boutique. C'est complètement dans les mœurs. Ce sont des produits festifs. Nos clients achètent des 'négro' et des 'bamboula' pour ensuite les offrir à leurs proches", raconte la chocolatière.

La chocolaterie Gregory Feret

© Capture d'écran Facebook

Des paquets de chocolats repérés par des bloggeurs. Alors que les chocolats sont commercialisées sous ce nom depuis presque vingt ans, il faudra attendre lundi pour que la blogosphère s'empare du sujet. Plusieurs internautes, proches des associations de lutte contre le racisme, ont en effet publié sur leur blog des photos des paquets de chocolats. Dans la foulée, le Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN) et Sortir du Colonialisme ont publié un communiqué conjoint pour dénoncer la mise en vente de ces produits à "l'imagerie coloniale traditionnelle".

Mails d'insultes et menaces. Des internautes ont également pris d'assaut la page Facebook de la chocolaterie pour dénoncer ces "relents racistes d'un autre temps". Virginie Ferret, la gérante de la chocolaterie, confie même avoir reçu de nombreux mails d'insultes et des appels de menace. Elle a donc décidé de répondre aux attaques dans un message publié lundi soir sur la page Facebook de son enseigne.

Les gérants font valoir l'histoire de la France... La chocolatière évoque ainsi "une mauvaise connaissance de l'histoire" des personnes offusquées. Et de justifier : "Négro est un hommage rendu aux Sénégalais blessés pendant la première guerre". Quant à Bamboula, il s'agit, selon elle, d'une référence à la danse du même nom, car "les auteurs du Bamboula ont désiré rendre hommage aux cultures que les Africains nous ont apporté en France". Virginie Ferret précise d'ailleurs à Europe 1 que toutes ces explications sont fournies sur les emballages des chocolats incriminées.

… Et annonce le changement de nom des chocolats. Des explications qui ne convainquent pas. Face à la pression des associations et des internautes, les gérants de la chocolaterie promettent alors qu'un nouveau nom sera donné aux chocolats. "Notre but n'était vraiment pas de heurter, ni de blesser. Nous ne voulons pas d'histoire, nous ne cherchons pas la guerre. Nous allons changer de nom et de packaging prochainement", assure la commerçante. Cette dernière a d'ailleurs rendez-vous mercredi avec la mairie et la préfecture pour déterminer la posture à adopter face à cette affaire.

Six mois de prison encourus. En attendant, si les associations décident d'engager des poursuites, les deux gérants risquent jusqu'à six mois de prison et 22.500 euros d'amende pour injure à caractère raciste. "Les mots 'bamboula' et 'négro' revêtent une connotation raciste évidente. Ces dénominatifs sont très dérangeants et posent un problème moral", commente Me Jacky Benazerah, avocat de SOS-Racisme, joint par Europe 1.

"Du racisme latent post-esclavagiste". Un problème moral qui peut facilement se traduire en justice assure Me Pierre Mairat, co-président du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), contacté par Europe 1. "Il s'agit clairement d'une expression outrageante, qui peut faire l'objet de poursuite pour injures, puisque le caractère raciste est évident et que ces injures sont rendues publiques", rapporte l'avocat du Mrap. Au texte de loi s'ajoute également la jurisprudence. En mai 2011, la marque Banania a en effet été contrainte par la cour d'appel de Paris de faire cesser la vente de produits portant le slogan "Y'a bon".

"Ces slogans cristallisent le racisme latent post-esclavagiste qui perdure en France et qui est très mal vécu par les personnes qui en sont victimes. Ces commerçants se drapent derrière l'histoire, mais aujourd'hui, ces mots ne sont rien d'autre que des insultes envers les Noirs", estime l'avocat Pierre Mairat. Et de conclure : "On peut toujours s'abriter derrière la sémantique. Mais il s'agit surtout d'une injure à l'intelligence".