Le 22 août 1914, jour le plus sanglant pour l'armée française

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C'est une date aussi noire que méconnue. Ce jour-là, 27.000 soldats français sont morts à la frontière belge.

INFO. C'était il y a 100 ans.21 jours après l'ordre de mobilisation générale, dans les premiers mois de la Grande Guerre, 27.000 soldats français meurent au champ de bataille en une seule et même journée. Nous sommes le 22 aout 2014, sur le front Ouest, non loin du village de Rossignol, en Belgique. Ce jour marqué du sang de ces jeunes soldats reste aujourd'hui encore le plus meurtrier de l'histoire de l'armée française. Retour sur les raisons d'un massacre.

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Les "pioupious" décimés. Lorsque les forces françaises s'engagent dans la phase initiale des combats de la Grande Guerre, la "Bataille des frontières" le long des bordures de la Belgique et de l'Allemagne, c'est avec une élégance martiale teintée du lustre passé de la Grande Armée napoléonienne. Mais l'uniforme des "pioupious", en képi et pantalon rouge garance, s'avère tragiquement obsolète. Tout comme l'art de la guerre prôné par ses  généraux.

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Les pertes françaises, ce jour-là, équivalent à la moitié du total des morts américains durant les seize années de la guerre du Vietnam. Elles sont aussi supérieures aux 20.000 Britanniques tués le 1er juillet 1916 lors de la Bataille de la Somme.

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Quelle fut la tactique déployée ? Deux régimentsd'élite de l'infanterie coloniale française sont ainsi  lancés vers le Nord. Objectif : percer les lignes allemandes. Les soldats français partent à l'offensive baïonnette au fusil avec l'interdiction de battre en retraite. Les bases d'un désastre aux origines multiples, comme l'évoque Jean-Michel Steg dans son ouvrage,  "Le jour le plus meurtrier de l'histoire de France" : "le commandement, la topographie, la tactique, tout". "Ils rêvaient encore d'Austerlitz (la grande victoire de la cavalerie napoléonienne en 1805) et ont trouvé un autre monde. Ils se sont heurtés à la réalité", écrit l'auteur. "Ça a été une formation accélérée aux tactiques de combat du XXe siècle pour l'armée française".

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A quelles forces les soldats français se heurtent ils ? Les troupes françaises sont en réalité victimes d'une accumulation d'éléments contraires. En premier lieu : la présence inattendue de régiments allemands censés ne pas arriver avant le lendemain. Tapis dans la forêt, l'ennemi attend de cueillir l'armée française. Les mitrailleuses et l'artillerie allemande sont bien positionnées.

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En face, les Français ne connaissent pas ce terrain forestier difficile : certains officiers ne disposent même pas de carte des environs. D'autre part, leurs pantalons rouges percent un épais brouillard et en font des cibles parfaites. Enfin, les soldats français payèrent surtout le tribut de l'intransigeance de leur hiérarchie, partisane d'attaques à découvert déraisonnables. Engagés dans des charges désespérées, la plupart d'entre eux tombèrent sous les rafales de mitrailleuses allemandes.

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Pour Joffre, "il faut passer, quel que soit le prix". "Ces gens-là sont en retard d'une guerre", juge aujourd'hui Jean Dauphin, qui s'occupe d'un musée sur la guerre dans la région à Latour, à quelques kilomètres. "Il y avait aussi cet esprit d'offensive chez les Français, donc on avance et à un moment donné, (le général Joseph) Joffre a dit : 'il faut passer, quel que soit le prix'. Le prix, c'est une génération de Français, la fin d'une génération de jeunes types de 20 ans".

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 Après trois heures de combat, le champ de bataille était déjà couvert des corps sans vie de soldats de deux régiments, mais les assauts se poursuivaient, relate encore Jean-Michel Steg. "A la quatrième ou cinquième tentative, vous deviez sans doute courir sur les corps de vos camarades. C'est incroyable ce qu'ont fait ces gars. C'était l'enfer."

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Quel prix pour la population civile ?  Si les commémorations militaires de ce jour noir se font rares, les habitants de la région, eux, entretiennent le souvenir. Car la Bataille des frontières fut aussi le théâtre de massacres de civils pour lesquels ont été dressés de nombreux monuments. Après la bataille de Rossignol, 108 villageois furent arrêtés chez eux, emmenés à Arlon et exécutés. Et l'histoire s'est répétée, de village en village.  Des habitants de la région sont morts par centaines dans cette région à mesure que l'armée allemande, redoutant les sabotages, s'en prenait aux civils, puis incendiait et pillait les villages. Une trentaine de communes ont été visées durant les seules journées des 22 et 23 août, selon Jean-Michel Steg.   

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Comme autant de témoignages de ce massacre, les tombes restent alignées au cimetière militaire du Plateau, à Rossignol. Henri de Vibraye, Pierre Bellamy, Charles Patre sont quelques-uns des noms inscrits sur les pierres couvertes de mousse, à l'ombre d'arbres immenses. Chacune porte la date du 22 août 1914.