Le principe de laïcité est respecté en prison mais l'administration pénitentiaire ne peut fermer les yeux sur le ramadan. La principale fête musulmane dure un mois et entraîne des changements dans les horaires d'alimentation de nombreux détenus. Car sur les 68.900 détenus en France, 18.000 font le ramadan. Soit un détenu sur quatre. Dans un milieu où les détenus ne sont pas libres de leurs mouvements et de leurs horaires, comment s'organise la pratique du ramadan ?
Ramadan en prison, ça se prépare ? Les prisons préparent cet événement en amont. Les jeûneurs sont en effet regroupés dans les mêmes cellules. Pierre Montreuil, secrétaire général Midi-Pyrénées du syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés, est en poste à la prison de Toulouse-Seysses. Dans sa prison, sur 1.000 détenus, 400 font le ramadan. Il explique à Europe1.fr : "Nous essayons de mettre les pratiquants ensemble pour éviter les tensions entre détenus. En effet, les jeûneurs mangent tard le soir, et puis, après, il y a toujours un peu d'agitation, les rires, la musique… ils se couchent tard. Imaginez si le voisin de cellule qui ne fait pas ramadan, veut se coucher tôt".
Cette redistribution dans les cellules se fait seulement pour la durée du ramadan et dans la mesure du possible. Il y a en effet beaucoup de critères autres que religieux à prendre en compte : fumeur/non fumeur, l'âge des détenus, la nature des délits. De plus, quand un détenu est reconnu pour son calme et sa discrétion, il peut continuer à cohabiter avec un non musulman.
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Quelle gestion des repas ? En temps normal, l'organisation des repas dans les prisons françaises se fait en deux temps. À midi, le déjeuner est distribué. Aux abords de 18 heures, c'est au tour du dîner en même temps que le petit-déjeuner du lendemain. En période de ramadan, des ajustements sont faits auprès des détenus jeûneurs, qui se sont signalés auprès de l'administration pénitentiaire.
À la prison de Nanterre qui accueille 1.000 détenus, le repas de midi n'est pas distribué aux 600 prisonniers qui font ramadan. Le soir, en plus du dîner, une collation supplémentaire est donnée aux jeûneurs.
À Toulouse-Seysses, l'organisation diffère : "À midi, nous distribuons le repas de midi aux jeûneurs en même temps qu'une collation supplémentaire", explique Pierre Montreuil. "Ils mettent ça de côté et réchauffent le tout le soir." Idem à la prison des Baumettes à Marseille. Pour Jimmy Delliste, secrétaire général du syndicat des directeurs des services pénitentiaires, la distribution du repas de midi ne pose pas problème à partir du moment où les détenus ont les moyens de louer des frigos et des plaques de cuisine. Certaines prisons prêtent même aux détenus indigents des plaques pendant la durée du ramadan.
"Cantine" ramadan. En plus des repas distribués par l'administration, tous les prisonniers de France ont la possibilité de "cantiner". Ils peuvent ainsi commander de la nourriture supplémentaire, à partir de catalogues proposés par des fournisseurs extérieurs, comme la Sodexo.
À Noël, lors de la Pâque juive ou encore pendant le ramadan, la Sodexo ajoute des pages "confessionnelles" à son catalogue. Les musulmans jeûneurs, s'ils en ont les moyens, varient les plaisirs avec un "kit pour kebab", de la "soupe chorba" ou encore des "cornes de gazelle".
Une page du "catalogue cantine confessionnel" de la Sodexo
Les familles envoient-elles de la nourriture aux détenus ? Les détenus ne peuvent pas recevoir de la nourriture de leurs proches. Pierre Rancé, porte-parole du ministère de la Justice, évoque auprès d'Europe1.fr des "raisons de sécurité". "Les proches ont interdiction de donner de la nourriture aux détenus, sinon, ce serait un moyen de faire passer de la drogue", justifie-t-il.
Pourtant, de début décembre à début janvier et parce que c'est "traditionnel" selon un membre de l'administration pénitentiaire, les familles peuvent transmettre jusqu'à 5 kilos d'aliments aux détenus.
Certaines familles musulmanes passent outre l'interdiction. Jimmy Delliste note pendant le ramadan, une augmentation de "projections de viande". Les proches tentent de faire passer de la viande fraîche en visant les fenêtres des cellules. Avec un taux d'échec important.
Quelle place pour le monde associatif ?Comme le Secours catholique à Noël, les associations caritatives musulmanes distribuent des colis pendant le ramadan. Le Secours islamique de France (SIF) distribue ainsi 5.800 colis dans 19 prisons du nord de la France. Mohamed Elouardi, coordinateur des missions sociales France du SIF, explique à Europe 1.fr : "Il y a 10 ans, l'Aumônerie nationale musulmane nous a sollicité car une partie des détenus vivent dans une indigence extrême et ne peuvent "cantiner". Le colis leur fait beaucoup de bien. D'ailleurs, des non musulmans se déclarent "jeûneurs" pour aussi en bénéficier." Cette année, le colis contient entre autres des dattes, du chocolat au lait, du riz paëlla et, touche de coquetterie, un petit flacon de musc.
Les produits du colis du SIF distribué aux détenus.
Et le rôle des aumôniers dans tout ça ? C'est grâce à eux que la distribution des colis est possible. Fouad Saanadi, aumônier dans la région Aquitaine, présente à Europe1.fr son travail : "L'association musulmane "Solidarité Girondine" centralise les dons alimentaires provenant de particuliers, de collectes dans les mosquées mais aussi d'épiceries. Les produits sont répartis dans des colis que je fais contrôler et valider par l'administration pénitentiaire. Puis, je n'ai plus qu'à les distribuer aux prisonniers." Fouad Saanadi l'assure : "Le ramadan en prison, c'est une logistique bien rôdée".
Le docteur de l'âme. Fouad Saanadi souligne que le "ramadan en prison, c'est un moment difficile d'un point de vue psychologique. Cette fête normalement est rythmée par les prières à la mosquée et par les repas en famille. En prison, le musulman est seul. Mais c'est parfait pour méditer, prendre du recul et réfléchir aux fautes qu'on a fait".
Cependant, tous ne souffrent pas de solitude. L'aumônier girondin explique : "Avec le ramadan, certains se "découvrent" religieux et se mettent à une pratique soutenue. Ils sont moins en souffrance car n'ayant pas été pratiquant avant, ils n'ont pas la nostalgie du passé".
Pendant le ramadan, y a-t-il plus d'incidents ? Pierre Montreuil, du syndicat des surveillants non gradés, l'affirme : "Pour les surveillants, la période est plus stressante, plus fatigante. Comme les détenus qui jeûnent sont au ralenti la journée, il nous faut aussi être plus patients." Des altercations ? "Si des détenus jeûneurs prennent sur eux, d'autres ne veulent pas se lever le matin car ils se sont couchés tard. Il peut y avoir des accrochages, on entend 'vous respectez pas la religion', 'je fais ramadan donc j'ai le droit de dormir ce matin'. Pierre Montreuil parle d'"enquiquineurs habituels" qui utilisent le prétexte de la religion "pour casser les pieds".
Pour Jimmy Delliste, attention aux raccourcis : "Il peut y avoir plus d'altercations pendant le ramadan. Mais depuis plusieurs années, la fête a lieu en été. La hausse des incidents est plus liée à la chaleur et à la longueur des journées." De plus, juillet et août sont des mois où les surveillants fonctionnent en sous-effectifs. Davantage sollicités, la période est forcément plus éprouvante pour eux.