La ville n'a pas été choisie au hasard. L'année dernière, une cinquantaine de jeunes de Trappes sont partis en Syrie. Mais en ce vendredi 15 avril, c'est une représentation théâtrale qui est donnée dans la salle de spectacle "La Merise". Deux cents lycéens sont venus assister à la pièce "Djihad" de l'auteur Ismaël Saidi, originaire de Shaarbeek-Molenbeek en Belgique, une commune de Bruxelles dont sont originaires de nombreux terroristes, dont Salah Abdeslam.
Comment est née la pièce ? "Djihad" n'est pas le fruit du hasard mais d'un événement bien précis. Ismaël Saidi travaille chez lui en ce jour d'août 2014, la télévision allumée en fond. La présidente du FN Marine Le Pen est interrogée sur ces jeunes qui partent faire le djihad en Syrie. "Elle a dit que ça lui ne posait pas de problèmes tant qu'ils ne revenaient pas", raconte l'auteur à Slate. "J'ai trouvé que c'était excessif, dur du point de vue d'un être humain et d'une femme politique". Il se décide alors à écrire sur le sujet, "écrire sous forme d'humour pour parler de ce problème".
Que raconte la pièce ? Jouer sur le tragi-comique, c'est le parti de la pièce qui met en scène trois jeunes apprentis au djihad belge qui veulent partir en Syrie. Ben, Reda et Ismael, qui n'ont jamais lu le Coran, se retrouvent les armes à la main, prêts à exécuter Michel, un arabe chrétien syrien. Mais l'épopée est plutôt celle de pieds-nickelés, et les gags s'enchaînent pour le plus grand plaisir des lycéens.
Une pièce qui "libère la parole des jeunes". Mais tout n'a pas été si simple.Avec un sujet pareil, Ismaël Saidi s'est heurté au refus de nombreux théâtres. La STIB, l'équivalent de la RATP à Paris, lui a même demandé de changer le nom de sa pièce. Trop dangereux. Mais lui persiste et finit par obtenir quelques dates à l'Espace Pôle Nord à Bruxelles. La pièce rencontre un vif succès et va bénéficier d'un coup de pouce de deux responsables politiques, Joëlle Milquet, ministre de l'Education de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Fadila Laanan, alors secrétaire d'Etat chargée de la Culture à la région de Bruxelles-Capitale.
Cette dernière se souvient très bien lorsqu'Ismaël Saidi avait évoqué au détour d'un café le projet avec elle. "Lorsqu'il m'a révélé le nom de la pièce, j'ai éclaté de rire et je lui ait dit : 'tu es fou?", raconte-t-elle à Europe 1. "Mais je lui ai promis que je l'aiderai car je connais ses qualités", poursuit-elle. Fadila Laanan va voir la pièce et c'est un coup de cœur : "je me suis rendue compte que c'était une pièce différente des autres, elle libère la parole de ces jeunes qui se demandent s'il est opportun de partir. C'était quelques chose de fulgurant, il y avait une vraie force pédagogique". La ministre décide de donner à la pièce un label d'utilité public pour "diffuser en priorité le spectacle dans les écoles, les associations…". Résultat : des dizaines de milliers de jeunes ont vu la pièce.
"Faire le djihad, ça ne sert à rien". Après chaque représentation, un débat est donné. Les élèves de Trappes ont ainsi échangé avec le metteur en scène mais aussi un islamologue originaire de Trappes. Ce dernier a martelé que l'essentiel, c'était de se poser des questions. Et le message semble être passé. "C'est des choses que je savais mais ça confirme un petit peu plus'", confie l'un des jeunes au micro d'Europe 1. "Faire le djihad, pour moi, franchement ça ne sert à rien", ajoute-t-il.