C'est une journée importante dans l'affaire Epstein : mardi, Ghislaine Maxwell, l'ex-collaboratrice de Jeffrey Epstein arrêtée le 2 juillet dernier, comparaissait pour la première fois à New York pour trafic de mineures. Suspectée d'avoir aidé le financier américain à agresser sexuellement des très jeunes femmes, elle a plaidé non coupable. Dans l'une des ramifications françaises de ce dossier tentaculaire, l'ex-mannequin néerlandais Thysia Huisman accuse le Français Jean-Luc Brunel de viol, en 1991. Auprès d'Europe 1, elle livre sa version des faits et décrit l'emprise que cet ami du couple Epstein-Maxwell a eue sur elle.
Les "deux visages" de Brunel
"C’était en 1991, j’avais 18 ans", se remémore-t-elle au micro d'Europe 1. "Mon agence de mannequins en Belgique m’avait envoyé travailler chez Jean-Luc Brunel, et m’avait dit de loger chez lui, dans son appartement. J’avais bien sûr trouvé ça bizarre, mais mon agence m’avait encouragée en me disant qu’il pouvait faire beaucoup pour ma carrière. J’y suis restée une semaine. Tous les soirs, il y avait des soirées avec plein de riches messieurs et de très jeunes femmes qui venaient pour la plupart des pays d’Europe de l’Est. Elles me paraissaient super jeunes."
Jean-Luc Brunel, agent de mannequins aujourd'hui septuagénaire, est accusé d’agressions sexuelles et d’avoir joué les "rabatteurs" pour Jeffrey Epstein. "Il avait deux visages. Il pouvait être très professionnel, très gentil, arranger les choses professionnellement pour moi et, la nuit, il devenait une personne complètement différente", poursuit Thysia Huisman, qui évoque un "harcèlement". "Il ne cessait de dire 'tu sais, un soir, on va coucher ensemble'. Quand je suis arrivée le premier jour, j’ai demandé où j’allais dormir et il m’a répondu 'dans mon lit !' J’ai dit non, et il n’a rien répondu d’autres, je suis restée debout des heures avant de finir par dormir dans la chambre d’une autre mannequin, sur le sol."
"Je me sentais honteuse et sale"
L'ex-mannequin néerlandais raconte sa version des faits sur le viol dont elle accuse l'ami du couple Maxwell-Epstein : "À la fin de la semaine, on est sortis et quand on est rentrés chez lui, il m’a donné un verre, un genre de cocktail, et après l’avoir bu, je me sentais vraiment bizarre, les sons étaient différents. Il m’a dit 'viens te reposer dans mon lit'. (…) Je me souviens que c’était flou, qu'il m'a poussée sur son lit et qu’il m’a arraché mes vêtements. Le lendemain, je me suis réveillée nue dans son lit, avec des bleus sur les jambes et un kimono que je ne connaissais pas sur mes épaules. Quand j’ai réalisé ce qui s’était passé, je me sentais tellement mal, honteuse, et sale. Je suis partie sans dire au revoir, j’ai pris le premier train pour Bruxelles. Les jours suivants, j’étais vraiment mal et je ne me sentais pas moi-même."
" C'était évident pour moi que j’avais eu la même chose avec Brunel que certaines avec Weinstein "
"Ce que je regrette le plus", confie-t-elle, "c’est de ne pas avoir été porté plainte. J’ai tenté d’en parler à mon agent à Bruxelles mais elle s’est moquée de moi et m’a dit que ce n’était pas professionnel d’avoir quitté Paris." Plus de 25 ans se sont depuis écoulés et la parole des femmes sur les violences sexistes et sexuelles s'est libérée dans de nombreux milieux : "Il y a trois ans, avec #MeToo, c’était évident pour moi que j’avais eu la même chose avec Jean-Luc Brunel que certaines avec Harvey Weinstein. J’ai fait une thérapie. Puis, j’ai fait des recherches et j’ai vu que je n’étais pas la seule, et c’était terrible de voir qu’il y avait tant d’autres femmes, après moi, qu’il a fournies à Epstein ! J’étais très en colère, tout le monde savait, comme mon agence à Bruxelles. Tout le monde a regardé ailleurs !"
Une douzaine de femmes entendues, un site créé
En France, selon Le Parisien, une douzaine de femmes ont été entendues par les policiers de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) dans le cadre de l’enquête ouverte en France par le parquet de Paris. "J’espère que l’enquête va bouger, parce qu’ils disent qu’ils font des investigations, mais ils n’ont même pas encore entendu Brunel", regrette Thysia Huisman, alors que les faits pour ces personnes entendues sont prescrits. Pour l'heure, l'agent de mannequins n'a pas été convoqué par la justice.
"Maintenant, on essaye de motiver d’autres victimes à parler, peut-être des victimes plus récentes, pour que la police soit obligée de faire quelque chose et l’entendre", seouligne-t-elle. Le site GetBrunel.com ("Attraper Brunel") a d'ailleurs été créé pour inciter d’autres victimes, dont les faits ne seraient pas prescrits, à parler.