C’est le témoignage d’une petite fille de 6 ans qui a mis un terme en avril 2017 à la carrière de pédocriminel de Joël Le Scouarnec. La fillette confie à ses parents que le "méchant" voisin lui a montré son "zizi, plein de poils". Ses parents déposent plainte. En perquisitionnant le domicile du chirurgien à Jonzac, les gendarmes retrouvent trois disques durs et une clé USB. Des photos et des récits d’agressions sexuelles et de viols sur mineurs. En interrogatoire, Joël Le Scouarnec confie avoir "abusé des petites filles pendant des années et des années". Ce premier procès concerne quatre victimes : sa petite voisine, deux nièces et une patiente hospitalisée en 1993.
"C’est d’abord l’histoire d’un oncle qui a violé ses nièces", explique Maître Delphine Driguez qui représente les deux filles de la sœur de Joël Le Scouarnec. Deux jeunes femmes aujourd’hui âgées de 29 et 34 ans qui souhaitent rester anonymes et que l’on appellera Aurélie et Hélèna. Elles ont subi les assauts répétés du chirurgien dans leur enfance dans les années 90 et vont se constituer parties civiles à l’audience. "C’est ensuite l’histoire d’une omerta familiale", dénonce leur avocate.
"Il me répétait sans cesse que c’était un secret entre nous"
C’est dans son entourage proche, dans le cercle familial que Joël Le Scouarnec, père de trois garçons a débuté sa carrière de pédocriminel. Sa première victime est la fille de sa belle-sœur. L’oncle prétexte des leçons de piano pour agresser la petite fille : "Il me répétait sans cesse que c’était un secret entre nous", se rappelle-t-elle. "Je n’ai jamais parlé de ce qu’il m’avait fait. Ma famille vient d’un milieu ouvrier, lui il a une classe sociale qui fait qu’il était admiré de tous". Lors de son audition, la nièce du couple Le Scouarnec évoque avec horreur une nuit où il a abusé d’elle alors que ses parents dormaient dans la même pièce. Aujourd’hui les faits sont prescrits, mais la quadragénaire viendra malgré tout témoigner lors du procès. En audition, Joel Le Scouarnec a parlé spontanément de cette nièce comme de "l’élément déclencheur" de son attirance pour les petites filles. Après elle, explique-t-il à la juge d’instruction, "cela a été une répétition avec les autres enfants".
Durant la même période, à la fin des années 80, Joël Le Scouarnec s’en prend à une autre fillette que son épouse garde régulièrement. Les agressions et les viols durent plusieurs années. Pour elle aussi les faits sont aujourd’hui prescrits. Tout comme pour la fille d’un couple d’amis des époux Le Scouarnec, âgée de 5 ans à peine. "Je n’ai pas le souvenir de menaces ou de quelqu’un de violent", explique-t-elle aux gendarmes. "J’ai plutôt eu l’impression rétrospectivement qu’il me manipulait qu’il présentait ce qu’il faisait comme un jeu."
"J’en veux beaucoup à ma tante car j’ai l’impression qu’elle le protégeait"
Dans les années 90, Joël Le Scouarnec s’en prend à Aurélie et Hélèna – prénoms d’emprunts – les deux filles de sa propre sœur. Elles ont à peine 4-5 ans. "Vers l’âge de 9 ans, quand Hélèna, la plus jeune, arrive à distinguer le bien du mal, elle se confie à sa maman en disant qu’elle ne veut pas aller à ce dîner avec cet oncle qui leur fait des choses", explique son avocate. "La mère n’a pas l’idée d’avertir les autorités, elle va essayer de régler ça à l’intérieur de la famille." La mère de famille en parle alors à son frère qui reconnait les faits, elle lui fait jurer de se soigner. Cela n’ira pas plus loin.
L’épouse Le Scouarnec affirme être "tombée des nues en 2004" quand son mari a été interpellé pour consultation d’images et vidéos pédopornographiques. Un des trois fils assiste à la perquisition. Rien n’est dit aux deux autres pour ne pas "les encombrer avec ça". A partir de cette date, le couple se sépare mais reste uni par les liens du mariage. "Pour des raisons religieuses", avance-t-elle, alors que lui parle davantage de raisons financières. JoëL Le Scouarnec affirme également que son épouse avait des soupçons dès 1996. Ses nièces en sont convaincues, elle était au courant : "J’en veux beaucoup à ma tante car j’ai l’impression qu’elle le protégeait", confie Aurélie à la juge d’instruction.
La magistrate s’étonne que même après la condamnation de Joël Le Scouarnec en 2005, son épouse n’ait mis en place aucune mesure pour protéger les enfants de la famille. Pas même sa propre petite fille. Entendu par les gendarmes, le fils aîné des époux Le Scouarnec est pris de vertiges. "Ma fille avait l’âge des fillettes pour lesquelles mon père était attirée, et du coup il aurait pu s’en prendre à elle (…) Il a détruit notre famille."
"Je vais tout reconstruire et reprendre le fil de mes activités sexuelles pédophiles"
Dans le journal intime qu’il tient de manière très scrupuleuse, Joël Le Scouarnec écrit en avril 1996 "Un cataclysme est venu s’abattre sur moi : elle (son épouse, ndlr) sait que je suis pédophile. Et dans ma peur irraisonnée j’ai détruit sans réfléchir et irrémédiablement de précieux documents : la liste de toutes les petites filles et les petits garçons dont j’ai abusé depuis 10 ans (…) Heureusement j’ai épargné les photos que j’ai prise de Aurélie et Héléna et de leurs vulves enfantines. Le chirurgien se fait alors une promesse : « Mais évoquer le passé ne sert à rien, je vais tout reconstruire et maintenant reprendre le fil de mes activités sexuelles pédophiles".
Les enquêteurs ont retrouvé l’ensemble de ses livres intimes datés de 1996 à 2017. Des documents Word d’une centaine de pages environ dans lesquels, le chirurgien rapporte au quotidien les agressions auxquelles il se livre en déclinant les identités des enfants qu’il abuse. Au rythme terrifiant d’une vingtaine de nouvelles petites victimes chaque année.
"L’année 2004 s’achève dans le plus grand désarroi", écrit Joël Le Scouarnec après avoir été placé en garde à vue par les gendarmes. "Je vais maintenant être fiché comme pédophile, ce que je ne renie pas pourtant. Que va-t-il se passer en 2005 ? Je l’appréhende un peu". Sa condamnation en 2005 ne changera rien à son comportement. La justice le soupçonne d’avoir fait plus de 350 victimes en 30 ans, l’enquête est toujours en cours sous la direction du parquet de Lorient qui centralise plus de 200 plaintes. Qui feront l’objet d’un deuxième procès dans quelques années.