Un soir d’octobre 2009, un homme s’est introduit, armé d’un pistolet, chez Philippe, un professeur de sociologie. Il a ordonné à Philippe, sa femme et son fils de s’allonger par terre et les a aspergés d’essence, les menaçant de les brûler. Philippe est finalement parvenu à maîtriser l’agresseur, mais comprimant sa cage thoracique pour le maintenir, il l’a tué. Mis en examen pour homicide volontaire, Philippe a découvert que l’agresseur était un de ses étudiants. Il raconte à Olivier Delacroix les mois difficiles suivant l’agression avant que la justice ne prononce un non-lieu.
Philippe se souvient du soir de son agression : "Tout d'un coup, j'ai entendu le bruit de la poignée de la porte d'entrée qui s’actionnait. Je suis allé voir. Ma femme est allée près la porte fenêtre pour voir ce qu’il se passait. Elle a vu que le portillon qui donne sur le jardin était ouvert. Elle m’a dit de ne pas ouvrir, mais dans le même mouvement, j'ai ouvert. Un homme cagoulé est arrivé vers moi avec un pistolet automatique. Il a braqué le pistolet sur ma tête et m'a demandé de rentrer.
Ma femme était derrière moi. On a été poussés à l'intérieur de la maison. J'avais le pistolet sur la tête et il nous a demandé de nous allonger à plat ventre dans le hall d’entrée. C'est ce qu'on a fait. Comme on criait, notre fils est descendu. Il était au premier étage, dans sa chambre. L'agresseur a braqué le pistolet sur mon fils et lui a ordonné de s'allonger à côté de nous. Mon fils avait onze ans et demi.
" On pensait qu'on allait mourir "
Sur le moment, j'ai cru comprendre que c'était un simple cambriolage. Donc, je lui ai dit : ‘On n'a pas d'argent, mais il y a des cartes bleues, des ordinateurs et des portables. Tu prends ce que tu veux’. Il a réagi de façon beaucoup plus agressive, puisqu'il n'a pas aimé que je le tutoie. On a senti un liquide froid couler sur notre tête et notre dos, puis des irritations dans les oreilles et les yeux. À cause de l'odeur, on s'est rendu compte que c'était de l'essence qu’il nous versait dessus.
C'était la panique. On pensait qu'on allait mourir. Quand il versait l'essence, on s'agitait évidemment. Il nous a dit : ‘Ne bougez pas sinon, je vous brûle. Toi, le père de famille, va attacher ta femme et ton fils.’ Ma femme s’est relevée et il lui a donné un grand coup de pied dans la figure. Je lui ai sauté dessus, il était debout. Je l'ai plaqué contre la porte d'entrée. Je ne sais pas comment j'ai pris son poignet droit.
Dans le même mouvement, je lui ai fait lâcher l'arme et je l'ai tiré vers moi en le prenant par son sweatshirt. On est tombés tous les deux sur mon fils. À partir de ce moment-là, je l'ai tenu au sol, lui couché par terre, moi en perpendiculaire. J'ai mis mon bras droit sous sa nuque et j'ai tenu mon poignet droit avec ma main gauche. On est restés dans cette situation. Il n'était pas question de le lâcher. C'était un renversement de situation.
" Je ne savais pas si j'allais réussir à le maîtriser "
Quand je lui ai sauté dessus et que j'ai libéré la porte d'entrée, ma femme est sortie pour appeler les secours. Mon fils est resté avec moi. L'agresseur, que je maintenais au sol, a commencé à s'agiter de nouveau. Il a failli me faire basculer. J'ai entendu mon fils dire : ‘J'ai le pistolet. Si tu bouges, je tire’. Comme l'autre était en train de se débattre, j'ai dit à mon fils : ‘Tu poses le pistolet et tu sors rejoindre ta mère’. J'ai dit à mon fils de sortir parce que je ne savais pas si j'allais réussir à le maîtriser. C’était un grand moment de solitude.
Il m'a parlé une seule fois. Il m'a appelé par nom et m’a dit : ‘Lâche-moi’. J'étais surpris d'entendre mon nom. Je ne pouvais pas savoir qu’il me connaissait. Il y avait des moments d'accalmie et des moments où il essayait de me prendre par surprise. Je le maintenais. Il s’est passé une vingtaine de minutes avant l'intervention des gendarmes. Ils m'ont menotté. Quand j'étais encore menotté, j'ai entendu l'un des deux gendarmes dire : ‘L’autre est mort’. C'est à ce moment-là que j'ai appris qu'il était mort."
" Pour les enquêteurs et le juge d'instruction, c’était une tentative d'assassinat "
Philippe a été mis en garde à vue pour homicide. Pendant sa garde à vue, il a découvert l'identité de son agresseur : "Les gendarmes sont arrivés avec l'information selon laquelle cette personne était étudiante dans mon université et qu'il était inscrit en deuxième année de sociologie. Il avait donc été mon étudiant. Ils m'ont aussi montré une photo qui provenait de leurs fichiers puisque c'était une personne qui avait eu des antécédents judiciaires. Je me suis souvenu de quelqu'un qui pouvait lui ressembler et qui était venu me voir un an auparavant pour me demander de remonter sa moyenne. Il avait vraiment eu une mauvaise année. Je lui ai dit que ça allait être difficile.
Ça m'a surpris, il m'a donné une petite tape dans le dos et m'a dit : ‘On peut toujours trouver une solution, mon ami’. J’ai répondu : ‘La solution est toute trouvée, vous allez sans doute devoir repasser vos examens’. Il est parti, il n’était pas content. Je ne l'ai plus revu. Pour les enquêteurs et pour le juge d'instruction, c’était une volonté d'assassinat puisqu’il y a eu une tentative de triple assassinat. J'aurais préféré que ce soit un parfait inconnu. J'aurais préféré que ce soit un simple cambriolage qui aurait mal tourné.
" Il a non seulement voulu attenter à ma vie, mais aussi à celle de ma femme et de mon fils "
Il y a plusieurs choses qui me dérangent beaucoup. Évidemment, il y a la mort de quelqu'un et je ne peux pas faire autrement. Je vis avec ça. Mais il y a aussi le fait qu’il me connaissait. Il nous a suivis et a fait du repérage. Il a non seulement voulu attenter à ma vie, mais aussi à celle de ma femme et de mon fils. Ce n’est pas simple à accepter. L'enquête a déterminé qu’il avait des antécédents psychiatriques. Il avait déjà commis une agression par le feu en jetant des cocktails Molotov sur une maison pour se venger pour des motifs semblables en 2004. Il avait été déclaré irresponsable et avait été interné quelques jours."
Après l’agression, la confusion règne, si bien que Philippe était parfois présenté comme l’agresseur et non la victime dans la presse : "L'information provenait du procureur adjoint de l'époque qui, en conférence de presse, le lendemain de l'agression, au moment même où j'étais encore en garde à vue, avait indiqué que je l'avais étranglé. J'étais consterné. Ça ne correspondait absolument pas à ce que j'avais vécu. L'autopsie a révélé qu’il était mort d'un arrêt cardiaque par une compression du cœur entre la cage thoracique et la colonne vertébrale."
Les mois suivant l’agression sont difficiles à vivre pour Philippe. Ce n’est qu’un an plus tard que la justice prononcera un non-lieu : "Dans les premiers mois, lorsque que quelqu'un m'approchait avec une certaine brusquerie, ça me faisait sursauter. J'étais à fleur de peau. Ça a duré plusieurs semaines. J'étais complètement à côté de la plaque. Ma femme tenait la boutique. Ça a duré le temps de l'instruction, jusqu'au moment où le juge d'instruction a déclaré un non-lieu. Au bout d'une année, il fallait reprendre pied. Donc, j'ai décidé d'arrêter mon traitement thérapeutique en accord avec mon psychiatre.
Maintenant, je relativise beaucoup de choses dans ma vie. L'essentiel, c'est de donner du crédit à la vie, parce que si on ne donne pas de crédit à la vie, c'est la mort qui se rapproche. Je suis triste de ce qui s’est passé. Je regrette évidemment que cette personne soit décédée, mais je ne me sens pas du tout responsable de sa mort. Je ne vois pas ce que j'aurais pu faire pour le maîtriser sans courir un risque pour les miens et moi-même. Aujourd’hui, ça va. J'ai avancé dans ma vie. Un épisode comme celui-là aurait pu casser un couple et une famille. Au contraire, c'est encore plus fort qu’avant."
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