"C'est quelque chose d'inimaginable... d'incroyable." En entrant dans son champ de trois hectares et demi de fraises, Maurice Andral n'a pas assez de mot pour définir ce qu'il est en train de vivre. "Ça, c'est une variété Sibilla. Normalement, elle devrait être rouge comme ça au 10 juin et regardez comme elle est déjà. On a fait un premier passage pour ramasser ce matin", constate-t-il en soulevant l'un des tunnels en plastique qui protège ses plants. "Moi je n'ai jamais vu ça", se désole-t-il. "Depuis 1991 que je fais de la fraise, c'est la première année où une chose pareille nous arrive."
Comme tous les producteurs, Maurice a planté des variétés différentes pour pouvoir proposer des fruits tout au long de la saison. "On a des variétés tardives et des demi-tardives qui se chevauchent." Sauf qu'aujourd'hui, la quasi-totalité de ses fruits sont mûrs. Il ne manque pas de personnel, mais à cause des températures élevées, il est impossible de récolter l’après-midi. "Il fait trop chaud", explique-t-il. "Avec les doigts, on marque les fraises et elles deviennent invendables, ou juste bonnes pour faire des confitures."
Le résultat, c'est que le marché est saturé et les prix d'achat au producteur s'effondrent. "Il y a une surproduction, tout mûri en même temps et le consommateur, mange une barquette de fraises, mais pas quatre."
"Je commence à baisser les bras"
Il a donc pris la décision, la mort dans l'âme, qu'il ne ramasserait pas la totalité de ses fraises. Certaines vont rester sur pied. "Aujourd'hui, la Cléry est devenue pratiquement invendable. Les centrales d'achat nous les prennent à 1,50 euro la barquette de 500 grammes. C'est en dessous de notre coût de production." Il reproche notamment aux distributeurs de ne pas jouer le jeu en ne répercutant pas la baisse des prix aux consommateurs et en continuant d'importer des fraises espagnoles à des prix défiants toute concurrence.
Déjà début avril, Maurice Andral avait subi le gel sur ses 16 hectares de prunes. Après deux nuits à lutter contre les gelées matinales, il avait perdu 50% de sa production. "Après deux années de gel en prunes, je me disais qu'avec la fraise, j'allais pouvoir équilibrer. Mais c'est le contraire", alarme-t-il. "Sur ce champ, il y a 100.000 euros d'investissement. Je pense qu'à la fin de la saison où il me manquera 50.000 euros en plus des 800 tonnes de prunes que j'ai perdu." Une accumulation d'aléas climatiques qui pèse sur son moral. "Je commence à baisser un peu les bras", admet-il. "Moi, je suis vieux et à la fin de ma carrière, mais un jeune de 35 ans qui subirait ce que je subis aujourd'hui. Je pense qu'il ne faut pas qu'il reste dans l'agriculture. Il faut qu'il parte."