La question revient à chaque attentat. L'auteur des tueries perpétrées dans l'Aude, vendredi, aurait-il pu être mieux suivi par le renseignement ? Des indices ont-ils échappé aux forces de l'ordre ? Selon plusieurs sources, la compagne de Radouane Lakdim, en garde à vue depuis vendredi, faisait, comme lui, l'objet d'une fiche "S". Le terroriste, tué dans l'assaut du supermarché où il s'était retranché, s'était rapproché de la mouvance salafiste radicale en 2014. Mais "aucun signe précurseur pouvant laisser présager un passage à l'acte terroriste" n'avait été décelé depuis, selon le procureur de Paris François Molins. Alors que les critiques fusent à droite, Europe 1 fait le point sur ces techniques de surveillance.
- À quoi sert le fichier "S" ?
"S" pour "sûreté de l'État" : sous-catégorie du fichier des personnes recherchées (FPR), la fiche est avant tout un outil de signalement. Elle est émise par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), le service central du renseignement territorial (SCRT) ou la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire (SDAT). Dans la majorité des cas, ces autorités sont alertées par des enquêteurs de terrain, qui repèrent un individu suspect, qui se met par exemple à fréquenter une mouvance radicale. "Si on crée une fiche S, c'est qu'on a rien sur un individu et que l'on veut savoir si cela vaut le coup de mettre des moyens opérationnels très lourds" sur sa surveillance, détaillait l'ex-chef du contre-espionnage français Bernard Squarcini après les attentats du 13-Novembre.
La fiche comporte l'état civil de l'individu, sa photo, les motifs qui nécessitent sa surveillance et la conduite à tenir en sa présence. Elle a pour but d'attirer l'attention des gendarmes, des policiers ou des douaniers lorsqu'ils réalisent un contrôle d'identité : les autorités peuvent ainsi retracer tous les déplacements des personnes surveillées.
- Les individus fichés sont-ils tous suivis au quotidien ?
Non. Cela s'explique d'abord par les effectifs : entre 10.000 et 20.000 personnes sont fichées "S", un nombre trop important pour mettre en place une surveillance généralisée. Le fichier ne comporte en outre pas que des profils radicalisés : des activistes politiques ou des hooligans peuvent y être inscrits, par exemple. Au sein même du fichier "S", il existe donc plusieurs classifications. L'une de ces "sous-catégories" répertorie les individus ayant rejoint les groupes terroristes en Irak et en Syrie, afin de détecter immédiatement leur retour dans l'espace Schengen.
Depuis 2015, le fichier "S" coexiste en outre avec le FSPRT (fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste), qui ne recense, lui, que les profils radicalisés. Radouane Lakdim y était inscrit depuis 2015. Mais là encore, tous les individus fichés ne font pas l'objet du même niveau de suivi.
Attaques de l'Aude : Radouane Lakdim était sous surveillance mais...
- Alors, comment repère-t-on les profils "à risque" ?
Au lendemain des attentats de Paris, Bernard Cazeneuve a doté chaque département d'une cellule de suivi des phénomènes de radicalisation. Autour de la table : le préfet, le procureur, les renseignements territoriaux, la DGSI et les forces de l'ordre, mais aussi les services sociaux et pénitentiaires. Pour chaque nouveau signalement au FSPRT, le renseignement territorial évalue la dangerosité de l'individu sous 15 jours. En fonction, la cellule identifie le service qui pilotera le suivi au long cours. Dans le cas de Radouane Lakdim, c'est la DGSI qui a dans un premier temps été désignée, preuve de l'attention portée à son cas.
Mais la dangerosité des individus fichés est constamment réévaluée : si l'activité d'une personne inquiète, les mesures de surveillance peuvent être renforcées… Et à l'inverse, lorsqu'un surveillé délaisse la mosquée, semble s'assagir ou change de fréquentations, il peut être mis en "veille". C'est ce qui s'est passé pour l'auteur des tueries de l'Aude : après un séjour en prison au cours duquel aucun signe de radicalisation n'avait été repéré en août 2016, son niveau de suivi a été abaissé d'un cran. Les services de renseignement "ont jugé qu'il n'y avait plus d'éléments, après deux ans de suivi, qui justifiaient une surveillance", a expliqué le secrétaire d'État Christophe Castaner, dimanche sur Europe1.
Une telle décision présente un risque, les individus radicalisés ayant parfois recours à des stratégies de dissimulation. Le processus pourrait-il être affiné ? C'est l'une des questions qu'évoqueront peut-être les préfets, à qui Emmanuel Macron a demandé de réunir chaque groupe d'évaluation départementale, cette semaine.