Depuis l'attentat de Nice, le 14 juillet dernier, le gouvernement, et en particulier le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, sont accusés par l'opposition de ne pas avoir fait le nécessaire sur le dispositif de sécurité mis en place pour les festivités sur la Promenade des Anglais. Dimanche, la polémique a atteint son paroxysme, avec le témoignage d'une policière municipale de Nice, chargée de la vidéosurveillance de la ville, affirmant avoir subi des pressions du ministère de l'Intérieur après l'attentat. Face à ces accusations, Bernard Cazeneuve - soutenu par le chef de la police nationale - a porté plainte. Si vous êtes passé à côté, Europe 1 revient en détails sur ce dernier épisode d'une polémique qui prend de l'ampleur.
- Acte I : une policière municipale de Nice accuse le ministère de l'Intérieur
Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, le dimanche 24 juillet, la policière municipale qui dirige le centre de vidéosurveillance de Nice affirme avoir subi des pressions de la part du cabinet de Bernard Cazeneuve, et avoir même été "harcelée" téléphoniquement en vue de lui faire modifier un compte-rendu sur le dispositif de sécurité, déployé à Nice le soir de l'attentat. Nommée responsable de ce centre opérationnel de commandement, le 6 juin dernier, Sandra Bertin déclare avoir reçu, au lendemain de l'attaque perpétrée par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, la visite d'un "commissaire qui [l']a mise en ligne avec la place Beauvau".
Là, on lui aurait demandé un compte-rendu précisant notamment "que l'on voyait aussi la police nationale sur deux points dans le dispositif de sécurité". Depuis jeudi dernier et les révélations de Libération, la position des policiers nationaux le soir du drame sur l'accès piéton à la Promenade fait l'objet d'un autre débat. "On m'a ordonné de taper des positions spécifiques de la police nationale que je n'ai pas vues à l'écran", poursuit Sandra Bertin, qui était en poste le soir de l'attaque ayant fait 84 morts sur la Promenade des Anglais.
La policière municipale développe : "la police nationale était peut-être là, mais elle ne m'est pas apparue sur les vidéos. Cette personne m'a alors demandé d'envoyer par e-mail une version modifiable du rapport, pour 'ne pas tout retaper'. J'ai été harcelée pendant une heure". Sandra Bertin, qui explique aussi dans l'interview avoir finalement dû "renvoyer "physiquement du centre de supervision urbain (CSU) l'émissaire du ministère".
- Acte II : Cazeneuve porte plainte pour "diffamation"
A la mi-journée, dimanche, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve annonce qu'il va déposer plainte pour diffamation, face à ce qu'il juge être de "graves accusations". De son côté, le patron de la police nationale, Jean-Marc Falcone, dédouane le ministre, assurant formellement que la police nationale a envoyé "un commissaire, puis un commandant" à Nice, en vue d'obtenir la chronologie des événements du 14-Juillet grâce aux enregistrements de la vidéosurveillance. Mais qu'à "aucun moment", ni le cabinet de Bernard Cazeneuve, "ni lui-même n'ont eu à intervenir dans le cadre de cette remontée classique et traditionnelle d'informations".
[Communiqué] Plainte pour diffamation suite aux accusations graves portées à l'encontre du ministère de l'Intérieur. pic.twitter.com/GYAifeiVJP
— Bernard Cazeneuve (@BCazeneuve) 24 juillet 2016
Invité au journal télévisé du 20 heures, sur France 2 dimanche soir, Bernard Cazeneuve dénonce une "campagne de vilenies" contre lui et les "mensonges" de responsables politiques niçois. "J'ai la nausée de voir ce qui se passe" et un "profond dégoût", affirme-t-il, visiblement ému. Pour mettre fin à la polémique, le ministre, qui assure qu'il rendra "coup pour coup", appelle d'ailleurs la policière municipale à "donner le nom" des deux personnes, qui l'auraient, selon elle, harcelée. Sandra Bertin, qui maintient ses accusations, ne l'a pas fait jusqu'à présent mais a assuré qu'elle révélerait les identités ce lundi.
- Acte III : la policière n'a pas eu affaire à l'entourage de Cazeneuve, contrairement à ses dires
Lundi matin, nouveau coup de théâtre. Selon nos informations, Sandra Bertin n'a jamais été confrontée à la venue d'un membre du cabinet du ministère de l'Intérieur. En réalité, la fonctionnaire de police a été visitée par une commissaire de police rattachée à l'état-major de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP). Europe 1 pu consulter la copie du mail du rapport, envoyé à 17h35 le lendemain de l'attaque… et celui-ci n'est pas adressé à un membre de l'entourage de Cazeneuve. Sandra Bertin a envoyé le courriel à sa hiérarchie, ainsi qu'à cette commissaire.
Par ailleurs, cette procédure demandée à Sandra Bertin est tout à fait habituelle, c'est une "remontée d'information" on ne peut plus classique, quotidienne et pratiquée sur tous types d'affaires. Le but consiste à centraliser des informations sur les principaux faits survenant sur le territoire français. Si la commissaire a réclamé une version "modifiable", c'est pour pouvoir "copier-coller" et reprendre ces éléments transmis par la police municipale dans la note d'information de la sécurité publique.
Enfin, dans le rapport de la chef du centre de vidéosurveillance de Nice, aucun élément ne concerne le positionnement des polices nationale et municipale sur la Promenade des Anglais ; cette répartition au cœur de la polémique, depuis les révélations de Libération jeudi dernier. Cette note d'information interne n'a par ailleurs aucune valeur juridique, et n'a donc pas d'incidence sur la procédure judiciaire.
D'autre part, certains éléments sur la personnalité de Sandra Bertin viennent fragiliser la neutralité présupposée de son témoignage, d'après Le Parisien. Si ses comptes Twitter et Facebook ont été supprimés depuis, la chef de la vidéosurveillance y affichait ses prises de position politiques, avec le nom de Sandra Tarteuil sous lequel elle officie d'ailleurs en tant que policière. Comme l'a révélé le quotidien, la fonctionnaire de police montrait notamment son soutien en faveur de l'ancien maire de Nice Les Républicains, Christian Estrosi, et taclait allègrement la "pseudo politique socialo" du gouvernement.
Les comptes Twitter et Facebook de #SandraBertin ont été supprimés. pic.twitter.com/Bi6WmK2S0L
— Ava Djamshidi (@AvaDjamshidi) 25 juillet 2016
- Acte IV : est-ce une manœuvre politique de déstabilisation ?
Sandra Bertin s'est-elle trompé sur son interlocuteur ou a-t-on affaire à une manipulation politique ? Lundi, le Premier ministre Manuel Valls a fustigé "un polémique politique, visant à déstabiliser le gouvernement". D'après Le Parisien, on soupçonne en haut lieu l'affaire d'être un "coup orchestré", "une boule puante" signée Christian Estrosi. L'intéressé, actuel président de la région PACA, s'est défendu de toute instrumentalisation via son compte Twitter.
Avec @p_pradal ns rejetons les accusations scandaleuses du ministre d'instrumentalisation des propos d'1 agent ds un contexte aussi terrible
— Christian Estrosi (@cestrosi) 24 juillet 2016
Invité de la matinale d'Europe 1, lundi, Christian Estrosi a néanmoins affiché un soutien infaillible à la policière municipale : "Heureusement que Sandra Bertin a dit ses vérités. […] Depuis quand un commissaire n'est pas placé sous l’autorité d’un directeur général de la police nationale ? Et le directeur pas placé sous l’autorité du ministre ?", s'est indigné l'ex-édile de Nice, qui reproche au gouvernement d’avoir sous-estimé le risque terroriste et, par conséquent, de ne pas avoir prévu un dispositif de sécurité à la hauteur.
C'est désormais à la justice d'établir la vérité et "personne d'autre", a tranché lundi le président François Hollande, au sujet de cette polémique. Le ministre de l'Intérieur a déposé plainte pour diffamation, tandis que l'avocat de Sandra Bertin, a, lui, annoncé lundi auprès de l'AFP avoir déposé un signalement au procureur de la République de Nice, laissant à ce dernier la liberté de qualifier les faits.
Pourquoi un "signalement" ?
Sandra Bertin et son avocat ont déposé lundi "un signalement" auprès du procureur de la République de Nice, "avec toutes les pièces justificatives, tous les noms, les détails, de manière à faire toute la lumière sur les faits", a indiqué le conseil à l'AFP. Cette démarche faite auprès d'une autorité judiciaire pour alerter d'une situation délictuelle ou criminelle correspond à l'article 40 du Code de procédure pénale.
"Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs", dispose cet article. C'est ensuite le magistrat du parquet qui apprécie des suites à donner et qualifie les faits pour lesquels des investigations pourront être lancées.