Pour savoir si son licenciement est abusif, un salarié ayant saisi les prud'hommes de Meaux doit attendre "en moyenne trois à quatre ans", assure Jean-Charles Negrevergne. Jugeant cette latence "inadmissible", le bâtonnier de la juridiction et une quarantaine de ses collègues ont initié une procédure inédite en attaquant l'État en justice pour "délais excessifs". L'affaire devait être examinée par le tribunal d'instance de Meaux, mercredi.
Mise à jour, mercredi 19 octobre :
Le tribunal d'instance de Meaux a renvoyé l'examen de l'affaire au 18 janvier prochain, "pour des questions de procédure et pour permettre à l'Etat de préparer sa défense", a indiqué Jean-Charles Negrevergne.
130 dossiers rassemblés. "En interrogeant les avocats de ma juridiction, je pensais recevoir une cinquantaine de dossiers", raconte le bâtonnier. Ce sont finalement "130 cas" qui seront présentés à la justice. "Dans certains d'entre eux, la date de l'audience est très éloignée de celle de la saisine. Dans d'autres, elle a été repoussée à de multiples reprises", détaille Jean-Charles Negrevergne. Les avocats invoquent l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui prévoit que la cause de tout justiciable soit entendue "dans un délai raisonnable". "Dans le cas d'un procès aux prud'hommes, j'estime que ce délai doit être compris entre sept et neuf mois", indique Me Negrevergne. A l'échelle nationale, le délai moyen de traitement des affaires était de 15 mois en 2015, auxquels doivent être ajoutés 14 mois supplémentaires en cas d'intervention d'un juge départiteur - dans le cas où les membres du bureau de jugement initial ne sont pas parvenus à se mettre d'accord.
Un délai préjudiciable aux deux parties. Le conseil des prud'hommes se prononce notamment en cas de licenciement, "une épreuve personnelle violente", estimeJean-Charles Negrevergne. "C'est un peu comme un divorce. Pour avancer, les salariés ont besoin d'une procédure rapide." Mais d'après le bâtonnier, les délais de traitement nuisent également aux employeurs, qui ont besoin de "savoir où elles vont". L'avocat invoque le cas de l'un de ses clients, un chef d'entreprise en litige avec l'un de ses salariés, souhaitant liquider sa société pour partir à la retraite. "Tant que la décision des prud'hommes n'a pas été rendue, il ne peut pas le faire. Tous les ans, il doit continuer de faire un bilan comptable, avec les coûts fixes que cela implique."
Des moyens jugés insuffisants. "Nous avons eu de nombreuses discussions avec la juridiction à ce sujet", explique Jean-Charles Negrevergne. Mais le manque de moyens, "du personnel du greffe au matériel, comme des bureaux et des salles d'audience" fait "stagner" la situation, selon l'avocat. "Le ministre de la Justice est venu nous voir en septembre, sans faire aucune annonce. Alors, on a décidé de taper un grand coup de poing sur la table en mettant l'Etat face à ses responsabilités", explique-t-il. Au printemps, les avocats de Seine-Saint-Denis avaient menacé d'initier une procédure similaire au vu de délais devenus "insupportables" au tribunal de grande instance. Ils avaient finalement reporté cette action, prenant acte d'engagements "significatifs" de la Chancellerie à renforcer les moyens humains du tribunal de Bobigny.
Tous cas compris, les avocats de Meaux réclament "1,4 million de dommages et intérêts" à l'Etat. "Mais nous espérons surtout une réaction et des moyens supplémentaires", affirme Jean-Charles Negrevergne. "Si nous obtenons gain de cause, l'Etat saura que des procédures similaires peuvent être initiées dans d'autres juridictions."