Après un mois de février 2023 très sec, le début du mois de mars a permis de voir le retour de la pluie sur la quasi-totalité du pays. Ce lundi, une vingtaine de départements sont d'ailleurs placés en vigilance orange aux orages. Une bonne nouvelle, même si cela pourrait ne pas être suffisant pour compenser le déficit pluviométrique de ces derniers mois et recharger les nappes phréatiques avant l'arrivée de l'été. Il est d'ailleurs "assez probable que la France connaisse une sécheresse hydrologique cet été car les niveaux des nappes et cours d'eau sont actuellement plus bas que la moyenne sur une grande partie du territoire", explique Agnès Ducharne, directrice de recherche au CNRS en hydroclimatologie.
"Il faudrait des précipitations plus importantes que la moyenne, mais pas trop intenses non plus sous peine de ruissellement, pour recharger les nappes et les sols qui alimenteront la végétation et les cours d'eau cet été", ajoute l'hydroclimatologue. Une situation qui laisse donc craindre une double sécheresse cette année, hivernale puis estivale. Mais la situation va-t-elle devenir récurrente ?
"Le changement climatique intensifiera les sécheresses"
Au-delà des pluies, la sécheresse des sols est particulièrement scrutée : l'humidité présente dans les sols est utilisée par la végétation et lui permet de vivre tout au long de l'été. D'autant plus que dans les années à venir, avec le réchauffement climatique, "on va vers des périodes où il y aura des sols plus secs, du fait des températures qui s'élèvent et particulièrement des vagues de chaleur en été", note Robert Vautard, climatologue, directeur de recherche au CNRS, qui a participé à l'écriture du rapport du Giec.
"On risque d'avoir un double phénomène l'été avec moins de pluie et plus de transpiration des plantes à cause de la chaleur. Par conséquent, la sécheresse sera renforcée l'été. En revanche, malgré le changement climatique, les pluies pourraient être plus fréquentes en hiver. Mais ça ne suffira pas à compenser les effets de l'été", analyse le climatologue. Un constat partagé par Agnès Ducharne : "Le changement climatique intensifiera les sécheresses, qui seront plus fréquentes, plus intenses et plus longues. Les sécheresses pluriannuelles deviendront notamment plus fréquentes", prévient l'hydroclimatologue.
Quant aux nappes phréatiques, il faudrait un excédent de pluie en hiver pour envisager l'été sans risque de pénurie d'eau. Cette année par exemple, "le risque, s'il ne pleuvait pas de façon abondante d'ici au mois de mai, serait que les nappes soient peu chargées en début d'été et s'assèchent de nouveau au cours de l'été. Et qu'on cumule un petit peu le retard de recharge des nappes", reprend Robert Vautard. Ce qui pourrait provoquer un déficit d'autant plus important au niveau des nappes, au-delà de l'été 2023.
Le manque d'eau risque donc de devenir un enjeu crucial dans les années et les décennies à venir. Pour le géographe, maître de conférence à l'Université Montpellier III et chercheur au CNRS Alexandre Brun, "ça l'est même déjà depuis un moment". Se pose alors la question du partage de cette ressource essentielle et rare. En plus des mesures préconisées par les accords de Paris sur le climat pour faire en sorte de contenir le réchauffement de la planète au-dessous du seuil des +1,5 degré, différents aménagements pourraient être mis en place pour atténuer les effets du changement climatique.
Quelles solutions pour pallier le manque d'eau ?
Parmi elles, la restauration des zones humides, la modernisation des réseaux d'eaux ou encore la réutilisation des eaux usées, comme le détaille Alexandre Brun. "Réutiliser les eaux usées veut aussi dire ne pas perdre celles qu'on récolte. Donc il faut aussi moderniser le réseau qui achemine les eaux usées des ménages jusqu'à la station d'épuration", souligne le chercheur, également auteur de l'ouvrage Le Partage de l’eau (éditions Odile Jacob, 2018). "La réutilisation des eaux usées permettra de nettoyer nos villes mais elles peuvent aussi servir à certaines formes d'agricultures sur certains territoires."
Les usages agricoles devront aussi être adaptés. "Contrairement à l'industrie ou aux ménages qui utilisent de l'eau mais en rejettent aussi, l'agriculture, c'est de la consommation nette. L'agriculture doit évoluer pour faire en sorte qu'elle limite de façon progressive la production des cultures les plus consommatrices d'eau pour les remplacer progressivement par d'autres. Ça ne veut pas dire qu'on va arrêter la production de pommes de terre, de betteraves ou de maïs. Mais il est grand temps de réfléchir au poids de l'agriculture dans la balance globale de la consommation d'eau", reprend Alexandre Brun.
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Même si pour le géographe, c'est toute une partie de la politique de l'eau qui doit évoluer pour aller vers plus de sobriété. Alors que l'eau reste une ressource relativement peu chère - "entre 2 et 6 euros le mètre cube" -, "l'eau est un bien précieux, tout le monde le dit. On le reconnaît volontiers en période de crise et nous sommes en période de crise. Cela veut dire qu'il faudra peut-être réfléchir à l'augmentation du prix de l'eau. Cela permettra, le cas échéant, de financer l'innovation et la recherche, par exemple pour restaurer les zones humides, moderniser les réseaux et y faire évoluer les pratiques agricoles", avance Alexandre Brun.
Un constat partagé par Robert Vautard, qui préconise également plus de sobriété. Un sujet auquel le gouvernement s'intéresse aussi : à la fin du mois de février, Emmanuel Macron avait évoqué le lancement d'un "plan de sobriété sur l'eau", qui pourrait être mis en place dans les mois qui viennent.