"Personne n'a été avisé de l'arrivée des box avant les vacances", souffle Pierre-Ann Laugery, bâtonnier des Hauts-de-Seine. Lorsque les avocats ont fait leur rentrée au tribunal de Nanterre, en septembre, deux "cages de verre", munies de deux seules ouvertures basses, avaient été installées dans les salles d'audience. Depuis quelques mois, c'est dans ces rectangles vitrés que comparaissent une bonne partie des prévenus du tribunal - notamment ceux jugés en comparution immédiate -, auparavant entendus dans des box semi-ouverts, à hauteur de la taille. Mais pour combien de temps encore ? Jeudi, la chambre des référés du tribunal de grande instance examine une procédure initiée par le barreau du département francilien, qui dénonce un mépris des droits de la défense.
Expérimentations dans les années 2000. "Certes, le débat ne date pas d'hier", rappelle Pierre-Ann Laugery. "Les premiers box clos sont apparus au début des années 2000." En 2003, des avocats se sont déjà opposés à leur installation à la cour d'appel de Paris et aux assises de Versailles, obtenant gain de cause mais n'empêchant pas des expérimentations dans d'autres villes. Douze ans plus tard, une procédure similaire a connu une fortune différente devant le tribunal de Grenoble : le Syndicat des avocats de France a échoué à obtenir le retrait des façades de verre du box des accusés aux assises, installées en vue du procès du drame d'Échirolles.
Mais en 2015, le contexte des attentats et des "mesures exceptionnelles" de lutte contre le terrorisme a vu naître une politique de "sécurisation" des tribunaux, selon les termes employés par la Chancellerie. Pour éviter évasions et violences au cours de procès, le ministère de la Justice a alors opté pour une généralisation des box entièrement clos, majoritairement vitrés, installés le plus souvent sans concertation : comme à Nanterre, 18 box ont été "transformés" à l'été 2017. Neuf autres doivent l'être d'ici la fin de l'année.
"Comme un huis clos de fait". Tout au long de l'automne, les contraintes techniques liées à ces nouveaux équipements ont été signalées partout où ils avaient été installés. "On ne peut plus communiquer utilement avec nos clients, on ne s'entend pas", déplore Déborah Meier-Mimran, avocate à Évry. "Au moment où la décision est prononcée, on avait l'habitude d'entrer dans le box pour leur expliquer comment se passe l'arrivée en détention, par exemple. Dans les "cages", aucune porte ne donne sur la salle d'audience : la seule issue débouche sur le dépôt. "On est obligés de faire suspendre l'audience et de faire tout le tour, à supposer que l'escorte veuille bien nous attendre…"
" Sans porte, vous imaginez si un incendie se déclare dans le couloir du dépôt ? "
D'autres conseils déplorent des difficultés dans le déroulé même de l'audience. "Par exemple, à Saint-Etienne, dans la nouvelle cour d'assises, aucun micro ne fonctionne. C'est pareil à la 10ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris. Récemment, la présidente a dû prendre un micro à la main pour être entendue", raconte Gérard Tcholakian, membre du bureau national du Syndicat des avocats de France (SAF), interrogé par Dalloz Actualité. "Quelquefois, on a l'impression que personne n'entend rien, c'est comme un huis clos de fait. Le prévenu ou l'accusé, dans son box en verre, n'entend pas non plus."
Pierre-Ann Laugery ajoute l'argument sécuritaire : "sans porte, vous imaginez si un incendie se déclare dans le couloir du dépôt ?" Dans plusieurs tribunaux se pose également le problème des interprètes : depuis la rentrée, certains ont fini par prendre l'habitude d'entrer dans la "cage" pour réussir à communiquer avec les prévenus.
"La reconstitution d'une sorte de cellule". Au-delà des aspects techniques, la généralisation pose un problème d'ordre symbolique pour les avocats. "En comparution immédiate, on voit des gens qui sortent de garde à vue, que l'on met face à un public, dans une cage : personne n'a l'air innocent dans ces conditions", affirme Déborah Meier-Mimran. "On présente quelqu'un dans ces conditions alors qu'il n'a pas encore été jugé. C'est la reconstitution d'une sorte de cellule dans la salle d'audience, et ça pousse à voir le prévenu comme dangereux", abonde Pierre-Ann Laugery. "On bascule progressivement vers une présomption de culpabilité."
" La réalité, c'est une envie de contenter l'opinion dans une atmosphère ultra-sécuritaire. "
La question se pose également pour les prévenus comparaissant libres, souligne le bâtonnier. "Avant, quand on condamnait une personne non-détenue avec mandat de dépôt, on la faisait entrer par le box. Maintenant quoi ? On procède à son arrestation dans la salle d'audience, puis on lui fait traverser tout le palais de Justice sous entrave, avec les risques de sécurité et les conséquences d'image que l'on peut imaginer ?"
Des évasions "jugulées à la porte de la salle d'audience". À Nanterre, puis à Strasbourg, Evry et Versailles, entre autres, les ordres ont récemment incité les avocats à déposer des conclusions en début d'audience, demandant systématiquement à ce que leur client soit jugé entouré de gendarmes, mais hors du box, comme le prévoit l'article 318 du Code pénal ("l'accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l'empêcher de s'évader").
L'argument de l'évasion pour justifier la mise en place des "cages" relève "de toute façon du n'importe quoi", estime le bâtonnier des Hauts-de-Seine. "On en a vu quelques unes en dix ou quinze ans, et l'immense majorité d'entre elles ont été jugulées à la porte de la salle d'audience. Quant au risque terroriste, il existe éventuellement à la 16ème chambre du palais de Justice de Paris (spécialisée dans les affaires terroristes, ndlr), où à Bayonne avec l'ETA. Mais à Nanterre, on ne traite jamais ces dossiers. Jamais. La réalité, c'est une envie de contenter l'opinion dans une atmosphère ultra-sécuritaire"
"La garde des Sceaux est très attentive au plein respect des conditions nécessaires à la bonne administration de la justice, en conformité avec nos obligations européennes", a réagi la Chancellerie avant l'audience de jeudi, au cours de laquelle elle assure vouloir "répondre avec toute la précision nécessaire aux griefs" des avocats. La décision en référé pourrait faire jurisprudence, alors que l'installation des box se poursuit : début décembre, des parois de verre ont notamment été mises en place à Toulouse, en une nuit. À Paris, le Syndicat des Avocats de France a assigné la ministre de la Justice au Tribunal de grande instance. L'audience est prévue le 15 janvier. "La profession est vent debout", affirme Pierre-Ann Laugery. "On ne laissera pas passer ça."
EDIT : Décision le 21 décembre
Jeudi, le Tribunal de grande instance de Nanterre a indiqué qu'il se prononcerait le 21 décembre, afin de dire si un expert doit être missionné pour mesurer les dimensions et l'acoustique des deux box. De cette décision dépendra une éventuelle procédure devant la justice administrative pour faire modifier cet espace.