Ce dimanche est jour d'élection aujourd'hui pour la communauté juive de France. Environ 330 grands électeurs - une majorité de représentants des communautés régionales et locales et environ 10 % de rabbins - se réunissent en assemblée générale, au Consistoire central, pour désigner le futur nouveau grand rabbin de France. Trois candidats sont en lice pour obtenir ce poste très convoité. La campagne a d'ailleurs été particulièrement mouvementée en coulisses tant l'enjeu leur est important.
Les trois candidats sont Haim Korsia, l’actuel grand rabbin, Mikaël Journo, rabbin de la communauté de Chasseloup-Laubat à Paris et Laurent Berros, rabbin de Sarcelles. Sur le papier, peu de choses différencient les trois hommes, tous respectueux de la "halakha", la loi juive, et issus de la même formation, le Séminaire israélite.
Le sortant, grand rabbin bien connu des communautés et de l'Etat
Haïm Korsia est connu dans toutes les communautés. Érudit, cet aumônier de l'armée de l'Air et de Polytechnique, bien introduit auprès de personnalités et responsables étatiques, est très attaché au dialogue avec les institutions républicaines et avec les autres cultes. Depuis 2008, il a eu la lourde tâche de veiller à la communauté juive meurtrie par les attentats de l’école Otzar Hatorah de Toulouse et de l’Hyper cacher.
Elu en 2014, il a durant ses 7 années d’exercice encadré la fonction de circonciseur dorénavant soumis à des règles d’hygiène et de pratique du geste très strictes. Il met à son crédit l'interpellation des responsables universitaires sur les dates d'examens pour qu'elles ne tombent pas les jours de Shabbat. Il incite les femmes à prendre la présidence (administrative) de communautés et préconise une réforme de la formation rabbinique. Il a également tenté de faire avancer les choses sur le divorce religieux. Fait nouveau il parle de "régularisation" et non de conversion pour les personnes dont le père est juif mais pas la mère.
Deux concurrents déterminés
La question est aujourd’hui centrale pour l’avenir du judaïsme. Mikaël Journo a d’ailleurs pris comme directrice de campagne une femme convertie, et par ailleurs divorcée. Cet aumônier général des hôpitaux, rabbin de la communauté Chasseloup-Laubat à Paris, a fait campagne en France en promettant une plus forte proximité au quotidien. "La communauté juive est malade, elle a peur. Il faut la rebâtir", lui donner une "impulsion positive", dit-il.
Laurent Berros, déjà candidat en 2014, est un rabbin de terrain, à la tête, à Sarcelles (Val d'Oise), d'une grosse communauté. Ce défenseur de la scolarisation dans les écoles juives, veut aussi "insuffler quelque chose de fort pour recruter de jeunes rabbins". Susciter des vocations est un enjeu essentiel car seuls trois à six rabbins sortent du Séminaire chaque année. Le futur grand rabbin devra aussi faire revenir les fidèles dans les synagogues, au sortir de la crise sanitaire.
Une campagne de faible tenue
La campagne, faite de coups bas, de rumeurs, de mails anonymes, a été très discrète mais assez violente tant le poste est convoité. "C'est surtout une lutte d'hommes pour un poste prestigieux", commente un électeur préférant garder l'anonymat. Plusieurs responsables ont décrit une campagne à la tenue parfois décevante.
Selon le magazine L'Express, "depuis le début de la campagne, en avril, on a entendu parler de l'emploi fictif et des nombreuses maîtresses d'un candidat, du barbecue sous couvre-feu organisé par un autre, nécessitant l'intervention de la police et entraînant une demande de destitution de sa fonction de rabbin". Déjà en 2013, la campagne avait été houleuse et ponctuée d'accusations contre le grand rabbin sortant, Gilles Bernheim.
Un interlocuteur privilégié de l'Etat
Si le poste créé par Napoléon attise autant les convoitises c'est parce que le grand rabbin de France, en plus d'être une autorité religieuse et morale, est aussi l’interlocuteur privilégié du judaïsme pour l’Etat. La durée de mandat très longue, 7 ans, lui offre également une forte visibilité dans l’espace public.
L'élu dimanche devra partager le pouvoir à la tête de cette institution avec son président, qui est laïc. Joël Mergui, à ce poste depuis 2008, doit quitter ses fonctions à l'automne. Les deux responsables représentent le culte israélite vis-à-vis des pouvoirs publics - on a pu le voir récemment lors des discussions sur les ouvertures des lieux de cultes pendant la crise sanitaire, les consultations préalables au projet de loi de lutte contre le "séparatisme", les avis sur les questions de bioéthique, etc.