La Fondation pour l'islam de France élit lundi le président de son conseil d'orientation, après que Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande mosquée de Paris, a finalement refusé d'occuper ce poste en février. Cette fondation laïque a été crée en décembre dernier avec pour objectif affiché par l'ancien ministre de l'Intérieur et actuel Premier ministre Bernard Cazeneuve de faire émerger "un islam républicain"."Cela suppose que tous les musulmans, avec l’ensemble des Français, s’engagent dans une défense totale de la République face au terrorisme, face au salafisme, car la République est bien leur première appartenance", avait déclaré le ministre en août lorsqu'il avait dévoilé dans le journal La Croix son plan pour refonder l'islam de France. Mais comment fonctionne cette fondation présidée par Jean-Pierre Chevènement ? A quoi sert elle et qui la compose? Europe 1 fait le point.
- A quoi sert la Fondation pour l'islam de France ?
Financer des projets éducatifs et culturels. Cette fondation, créée officiellement le 6 décembre 2016, n'est pas à proprement parler une fondation religieuse. Elle a pour objectif de soutenir des projets éducatifs, culturels et sociaux, sélectionnés par le conseil d'orientation. Le but, précisait Jean-Pierre Chevènement, son président, le 12 décembre, lors de la première instance de dialogue organisée par le ministère de l’intérieur, est "de faire connaître l'Islam aux Français de toutes confessions", "de faire connaitre la République aux 4 à 5 millions de musulmans présents en France" mais aussi d'organiser"des actions emblématiques" pour éviter notamment que la jeunesse ne soit tentée "par la radicalité violente et le terrorisme djihadiste", détaillait l'ancien ministre.
La fondation pourra par exemple contribuer à expliquer l'apport des musulmans dans la construction de la France ou encore soutenir la production de films télévisés sur ces sujets.
Faciliter la formation profane des imams. Elle prévoit aussi de faciliter la formation civique, civile et linguistique des imams, en développant des programmes de bourses et promet de soutenir la recherche en islamologie.
- Et l'association cultuelle qui y est adossée ?
Encadrer le financement des mosquées. En plus de la Fondation pour l'islam de France, le gouvernement a prévu la création d'une association cultuelle qui sera adossée à la fondation bien qu'indépendante et dont le but sera d'encadrer la construction des mosquées et la formation religieuse des imams. L'association cultuelle sera chargée de centraliser l’ensemble des financements nationaux pour la construction de mosquées. Le gouvernement souhaite qu'elle ne recoive pas de fonds de l'étranger (hors UE).
Ce n'est pas encore fait. La gestion de cette structure doit être confiée à des musulmans, mais pour l'heure, elle peine à voir le jour car il n'existe pas en France de fédération musulmane qui fasse l'unanimité et qui pourrait servir d'interlocuteur privilégié. Les rivalités empêchent les différentes fédérations musulmanes (l’Union des organisations islamiques de France UOIF, parfois considérée comme proche de l'idéologie des frères musulmans, la fédération nationale des musulmans de France, la fédération nationale de la Grande mosquée de Paris etc.) de s'entendre.
"Beaucoup de questions restent en suspens au sujet de cette association cultuelle. Qui doit la diriger ? Qui aura cette légitimé ?", s'interroge ainsi Bernard Godard, chercheur associé au Cesor, centre d’études en sciences sociales du religieux, enseignant à l'institut catholique de Paris et ancien membre du bureau central des cultes du ministère de l'Intérieur.
- Est-ce la première fois qu'une telle instance est lancée?
Une précédente fondation. Ces structures sont censées pendre la suite de la Fondation des œuvres de l'islam de France instaurée en 2005 par Dominique de Villepin. Cette fondation avait pour but de gérer notamment la construction et la gestion des lieux de cultes mais elle n'a jamais pu fonctionner du fait des rivalités déjà existantes entre les fédérations musulmanes. "Les conflits de chapelle entre les différentes fédérations et l'incapacité des acteurs musulmans à avoir un discours intelligible ont conduit à l'échec de cette fondation", souligne Omero Marongiu, sociologue, chercheur associé à l'institut du pluralisme religieux et de l'athéisme de Nantes.
"Quand cette fondation s'est montée cela s'est fait rapidement. C'était une époque où l'on privilégiait les fédérations musulmanes. On avait reproduit au sein de la fondation les mêmes tares qu'au sein du conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003, et sensé représenter les musulmans de France", précise Bernard Godard également auteur de la "Question musulmane en France". Par "tares", il faut comprendre les rivalités des fédérations musulmanes de France qui sclérosent l'activité du CFCM.
Un problème juridique. "Aussi, sur le plan juridique, la Fondation des œuvres de l'islam de France n'était pas tout à fait conforme", ajoute Bernard Godard. "Car une fondation n'a pas vocation à s'occuper du culte comme l'explique la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat". Cela explique pourquoi deux instances différentes ont été créés cette fois ci. La fondation qui traite de l'aspect culturel, et l'association qui doit en principe encadrer le financement des lieux de culte. Selon la loi de 1905, en effet, le culte doit exclusivement être géré par une "association cultuelle", une structure régie par des règles bien précises concernant la fiscalité, la gouvernance et le contrôle a posteriori par l'Etat.
- Qui sont les membres de la fondation ?
Des membres de la société civile. L'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement a été nommé président de la fondation à caractère culturelle. A ses côtés, on trouve au sein du conseil d'administration des personnalités dites "qualifiées" comme le précise La Croix: des universitaires - l'islamologue Ghaleb Bencheikh, Houria Abdelouahed, psychanalyste franco-marocaine, Razika Adnani, philosophe et écrivain, Inès Safi, chercheuse au CNRS en physique théorique, Abdelhaq Guiderdoni, directeur de l’Institut des hautes études islamiques à Lyon, Francis Messner, professeur à l’Université de Strasbourg - des élus - la sénatrice Bariza Khiari, présidente de l'Institut des cultures de l'islam à Paris ou Khadija Gamraoui, maire adjointe à Carrières-sous-Poissy dans les Yvelines - et d'autres membres de la société civile comme l'écrivain Tahar Ben Jelloun, la cadre chez Vinci Najoua Arduini-Elatfani, tous de confession ou de culture musulmane, à l'exception de Jean-Pierre Chevènement.
Des représentants des différents courants de l'islam. Le président du conseil du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech fait également partie du conseil d'administration de la fondation ainsi que différents membres des différents courants de l'islam de France, comme Abdelhaq Guiderdoni, directeur de l’Institut des hautes études islamiques à Lyon, l'imam de la grande mosquée de Bordeaux et le recteur de la grande mosquée de Lyon Kamel Kabtane. "Le fait d'introduire des personnalités qui ne sont pas forcément en lien avec la gestion du culte peut ouvrir d'autres horizons", précise Omero Marongiu pour qui la fondation de l'islam de France a ainsi davantage de chances de fonctionner que la précédente fondation.