La liste s’allonge : les lits, les services ferment… Et les établissements de santé s’inquiètent pour l’été. Au moins 120 services d'urgence ont été forcés de limiter leur activité ou s'y préparent. Ils manquent notamment d’infirmiers ! Ces personnels indispensables aux soins sont de plus en plus nombreux à quitter l’hôpital pour partir en intérim, en libéral ou même pour se réorienter.
"Un mouvement très grave"
Le président de l’Ordre national des infirmiers, Patrick Chamboredon, parle d’une "hémorragie", laquelle pourrait se poursuivre, selon une étude actualisée mi-mai, menée par l’Ordre auprès de 60.000 infirmiers : près de 30% d’entre eux s’interrogent sur un départ cette année et 15% sont certains de raccrocher la blouse définitivement.
"C'est un mouvement très grave", commente Patrick Chamboredon qui souligne à plusieurs reprises la lassitude du personnel. D’après l’étude, un salarié d’établissement public sur deux estimerait être en burn out. "Un gâchis humain, une gâchis social", ajoute Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Il table sur des dizaines de milliers d’infirmiers de moins de 62 ans qui ont cessé d’exercer pour se reconvertir. La Fédération hospitalière de France parle de 15.000 postes d’infirmiers vacants en 2022.
Souvent 24 patients par infirmière
"J’ai dans ma vocation de soigner n’importe qui n’importe quand mais là ça devient n’importe comment", résume Julie*. Son travail : une suite interminable de repas non servis parce qu’ils n’avaient pas le temps, de patients restés sur des brancards parce qu’ils n’avaient pas de lits, de collègues partis, pas remplacés. Après 12 ans passés à l’hôpital d’Orléans, la trentenaire vient de poser sa démission.
Dans ce CHU, la quasi-totalité du personnel paramédical s’est mise en arrêt maladie en avril dernier, pour épuisement professionnel. "Une infirmière est sensée s’occuper de 12 patients maximum mais nous, on se retrouvait souvent avec 24 !", s’indigne-t-elle précisant être devenue une "piqueuse".
"J'en ai marre de rentrer tous les soirs chez moi en pleurant"
"Pour ma propre santé mentale et physique, il le fallait", explique-t-elle sur Europe 1. "J’en ai marre de rentrer tous les soirs chez moi en pleurant. Piquer à la chaîne, moi, je n'en peux plus, ce n’est pas pour ça que j’avais choisi le service des urgences dans l’hôpital public. Une nuit, j’ai rêvé que je m’ouvrais les veines au milieu de mon service pour que la direction puisse nous entendre sur nos revendications ! Je me suis dit là stop, c’est trop."
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Certains se tournent comme elle vers le libéral, pour redonner du temps à leurs patients, du sens à leur métier. "Je vais pouvoir retrouver cette relation de soin avec mes patients", se réjouit-elle. "S’ils ont besoin de 10 minutes, même un quart d’heure, pour discuter, être rassurés, je vais pouvoir rester avec eux." La libération, après six ans à travailler la nuit, un week-end sur deux.
Pas un choix, une nécessité
À 47 ans, Catherine sort de 20 ans d’hôpital public, comme d’un gouffre sans fond : du monde et du travail sans interruption, l’impression amère "d’être un pion".
Un sentiment partagé par beaucoup, dans la profession, regrette Thierry Amouroux, du SNPI. "En clair, vous êtes infirmière de cardio depuis cinq ans, vous prenez votre poste à 7 heures du matin et on vous dit 'non, tu vas en cancérologie aujourd’hui' et là vous vous retrouvez dans un service dont, certes, les pathologies vous ont été enseignées durant votre formation mais où vous ne connaissez pas les protocoles, vous ne savez pas où se trouve le matériel, et vous avez peur de commettre une erreur."
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"J’étais dans un état de stress permanent", confirme Catherine. "Quand il faut faire un soin à quelqu’un, ce n’est pas un dossier qui peut attendre le lendemain pour être traité, on s’occupe de la vie humaine !", s’exclame-t-elle. Elle s'est donc tournée vers la comptabilité. "Voilà tant pis, maintenant je veux être tranquille en fait", déclare-t-elle.
"Je n’ai pas arrêté parce que je voulais arrêter, j’ai arrêté parce que je n’y arrivais plus mais au fond de moi, mon métier je l’aimais, je l’aime toujours. C’est encore difficile pour moi à accepter… Je suis arrivée à un point où je me disais mais non, non, je ne peux plus". Un déchirement, alors que beaucoup d’infirmiers confient avoir rêvé, plus jeunes, de l’hôpital public. "Les carrières là-bas c’est terminé, assure l’un d’eux, qui souhaite rester anonyme. C’est humainement impossible." Un autre embraye : "On ne tient plus."
L’hôpital pris dans un cercle vicieux
Les départs s’enchaînent et dégradent encore les conditions de travail de ceux qui restent, dont certains suivent et prennent la porte. "La population est vieillissante, donc de plus en plus confrontée à des maladies chroniques. Les besoins de santé de la population augmentent mais les moyens en face diminuent, et les infirmiers sont coincés entre les deux", détaille Thierry Amouroux. "On sait que demain sera pire."
Pourtant, "la formation la plus demandée sur Parcoursup reste celle d’infirmier", rappelle Patrick Chamboredon, le président de l’Ordre national des infirmiers, qui s’inquiète des abandons des élèves. "C’est 100.000 demandes pour 35.000 places… Mais seulement 25.000 qui ressortent diplômés."
* Le prénom a été changé