C'est un témoignage rare, qui éclaire sur la personnalité d'un grand chef. Bernadette Girault, la fille d'André Fort, s'est confié à Europe 1 sur les premiers pas en cuisine de Joël Robuchon, disparu lundi 6 août à l'âge de 73 ans. C'était au "Relais de Poitiers", à Chasseneuil-du-Poitou, en 1960. Le jeune Joël a alors 15 ans, et fait montre d'une détermination à tout crin.
"Quand mon père a su que Joël prêtait un peu d'intérêt pour la cuisine et que son ami d'enfance lui a dit qu'il devait le prendre, il a répondu : 'Tu me l'envoies et on va vite découvrir s'il aime la cuisine'", se souvient Bernadette Girault au micro d'Europe 1. "Joël a commencé par faire plus de grattage de casseroles et d'argenteries que la cuisine. Au départ, il a même sans doute tondu la pelouse", rigole-t-elle aujourd'hui.
"Mes parents l'ont formé de façon intelligente". "La preuve que Joël était passionné, c'est qu'il a survécu à tout ça, mes parents l'ont formé de façon intelligente, toujours de façon très humaine et puis sûrement avec plein d'amour, parce que c'était quelqu'un d'attachant Joël. En tout cas, c'est la première cuisine dans laquelle il a mis les pieds, avec ses avantages et ses inconvénients : à l'époque un apprenti n'avait pas d'horaires, on ne partait pas l'après-midi", explique-t-elle. "Cette valeur de travail, mon père l'avait et je pense qu'il lui a transmise".
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"Joël était quelqu'un d'infiniment humain". Quant au caractère de Joël Robuchon, Bernadette Girault se souvient d'un adolescent qui "voulait toujours être le premier". "C'était dans sa nature de vouloir toujours bien faire les choses. Je me souviens quand il a eu le prix Prosper Montagné [en 1969, ndlr] avec un lièvre à la royale, on en a mangé pendant des semaines pour goûter et présenter le plat. C'était un gros travail de préparation. Je me souviens qu'un jour, papa m'a dit : 'Là il est arrivé à ce qu'il souhaitait', et il y avait beaucoup de fierté de sa part", souffle-t-elle. "Joël était quelqu'un d'infiniment humain, infiniment respectueux et infiniment passionné. Je pense que lorsqu'on a dit ça, on a tout dit", avance la fille du mentor de celui qui, dans les quinze années qui vont suivre, va rapidement devenir meilleur ouvrier de France (1976), remporter ses premières étoiles (au Nikko, en 1978), ouvrir son propre restaurant (Le Jamin, en 1981) et y gagner trois macarons à la vitesse de l'éclair (1984).
L'amour de transmettre. L'un des souvenirs les plus précieux de Bernadette Girault de Joël Robuchon est sans doute le premier livre écrit par le chef, Ma cuisine pour vous, publié en 1986. "J'y tiens beaucoup, Joël l'avait même dédicacé : 'En témoignage de ma reconnaissance pour mon apprentissage au Relais de Poitiers où, avec monsieur Fort, vous m'avez appris le respect du travail et l'amour du travail bien fait. Avec toute mon estime et mon affection, 11/12/1986'", lit-elle, émue, livre à la main. "Joël était l'un de ceux qui parlait le mieux de papa, je pense qu'il avait compris l'amour que papa gardait : l'amour de transmettre aussi. Joël attachait beaucoup d'importance à la transmission. Et d'ailleurs, ils sont toujours restés en très bons termes".
"Merci mon maître". "Papa continuait d'aller dans tous ses restaurants. Joël le tenait informer et il avait grand plaisir à y aller, il était très fier de cette immense réussite", dévoile-t-elle. Malgré le succès, Joël Robuchon n'a pourtant jamais oublié d'où il venait, qui l'avait initié. "C'était l'une des grandes qualités de Joël : il avait la gentillesse de dire 'Merci André, merci mon maître'. Moi ça m'a lâché les larmes. Je n'aime pas la sensiblerie, Joël n'aimait pas ça non plus. Mais bon, c'est vrai qu'il y a des personnes qui disparaissent et qui font plus de vide que les autres", conclut-elle.