"Ça suffit !" Le mot d’ordre s’écrit en grand sur les affiches de la nouvelle campagne de lutte contre l’homophobie et la transphobie à l’école, lancée lundi par le ministère de l’Éducation. Car ces derniers mois, les insultes contre les LGBT ont connu une inquiétante recrudescence en milieu scolaire (+38% selon l’association SOS Homophobie). Si ce phénomène touche principalement les collèges et les lycées, l’homophobie débute souvent dans les cours de récréation des écoles primaires, sans même que les enfants en aient conscience. D’où l’importance de les sensibiliser le plus tôt possible.
Lutter contre l’homophobie "ordinaire" dès le plus jeune âge. "L’insulte ‘pédé’ est très répandue, dès le primaire vers 8, 9, 10 ans. Les enfants se parlent très mal entre eux. Les injures homophobes s’inscrivent dans ce cadre-là", estime Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l’enfance interrogée par Europe 1. Mais à cet âge-là, les enfants ne saisissent pas véritablement la portée de ces insultes. "C’est lancé comme une injure en l’air, sans qu’ils imaginent derrière que la personne est homosexuelle".
Pour ne pas laisser cette homophobie "ordinaire" s’installer, les enfants doivent être repris à l’ordre le plus tôt possible. "Il faut tout de suite dire à l’enfant : ‘non, je ne veux pas que tu parles comme ça’. L’homophobie s’inscrit dans l’éducation au respect et à la tolérance. Les parents doivent avoir conscience de la nécessité de cette éducation-là. Même s’ils ne l’ont pas toujours", déplore Béatrice Copper-Royer. Et pour aider les parents, des livres pour enfants accessibles dès l’âge de 3 ans abordent l’homosexualité et l’homoparentalité.
Déconstruire les préjugés. Chez les adolescents, les clichés homophobes ont la vie dure. Arnaud, jeune professeur de biologie dans un collège de banlieue parisienne, s’efforce de les déconstruire en confrontant ses élèves à la réalité scientifique. "Les enfants posent beaucoup de questions quand on aborde le chapitre sur la sexualité. Certains me disent que ‘l’homosexualité n’est pas naturelle’. Je leur réponds que si, dans le monde animal, l’homosexualité existe. Les dauphins ou certains singes ont des rapports homosexuels. D’autres élèves m’ont déjà dit que ‘ça n’existait pas avant’, alors qu’on retrouve des récits évoquant l’homosexualité très tôt dans l’histoire de l’humanité. Et là, ils entendent et en sortent du positif", raconte Arnaud. Mais les professeurs manquent bien souvent d’outils pour aborder l’homophobie. En France, il n’existe ainsi aucune formation obligatoire pour le corps enseignant. "C'est considéré comme relevant du bon sens. Il y a des formations, mais qui sont sur la base du volontariat", précise le professeur de biologie.
Pour combler ces lacunes, des associations mènent des campagnes de sensibilisation dans les collèges et les lycées. Alain, bénévole pour SOS Homophobie, arpente les établissements scolaires depuis une quinzaine d’années. "On amène les élèves à se poser des questions. Pourquoi considèrent-ils qu’un homme efféminé est gay ? Parfois il est gay, parfois il ne l’est pas. On leur fait remarquer qu’ils ont un a priori sexiste, alors qu’ils croisent des homosexuels tous les jours sans les voir. Un élève m’a déjà dit : ‘monsieur, vous n’êtes pas gay, vous faites grand-père de famille’", se souvient Alain qui répondra dans la foulée, sous les yeux interloqués du jeune homme, qu’il est homosexuel.
Une campagne saluée par les associations, mais... Les bénévoles le déplorent eux-mêmes : les campagnes de sensibilisation touchent encore trop peu d’enfants. En 2017-2018, SOS Homophobie est intervenu dans 1.150 classes, soit 26.855 élèves. "Nous ne sommes pas la seule association à en faire, mais c’est une goutte d’eau dans l’océan", regrette Alain, qui milite pour inclure un stage obligatoire de sensibilisation à l'homophobie dans la formation des futurs professeurs.
En attendant, les associations se sont félicitées du lancement par l'Éducation nationale de cette campagne de lutte contre l'homophobie. Une campagne d’affichage dans les collèges et lycées, ainsi qu’un renforcement de la formation des enseignants, font partie des mesures dévoilées. "SOS homophobie espère de tous ses vœux que l’ensemble des établissements, publics comme privés, ouvriront leur porte à cette campagne pour qu’elle puisse toucher un maximum d’élèves", écrit l'association dans un communiqué. Les chiffres montrent en effet que la lutte contre l’homophobie est loin d’être gagnée. Selon une enquête de l’IFOP réalisée l’an dernier, 26% des élèves LGBT ont déjà été victimes d’insulte homophobe. 72% des mineurs LGBT considèrent même leur expérience scolaire comme "mauvaise ou très mauvaise", selon une enquête récente citée par le ministère de l’Éducation.