C'est une page de l'histoire de la police qui se tourne. Un mythe. Le 36, quai des Orfèvres, la police judiciaire parisienne sur l'île de la Cité, boucle son déménagement pour de nouveaux locaux flambants neufs. Huit étages très sécurisés, aux normes (handicapés et incendies notamment), récemment sortis de terre, où vont désormais travailler 1.700 policiers dans le quartier des Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris. Un nouveau 36, puisque la rue qui va l'abriter, qui n'existait pas, est baptisée au nom du bâtiment "rue du bastion", avec un seul numéro : le 36. Cette semaine, Europe 1 a pu passer un peu de temps dans les derniers cartons avec les enquêteurs de la prestigieuse brigade criminelle. Les derniers à quitter le "36". Avec, forcément, de la nostalgie. Reportage.
" En 25 ans, j'ai toujours éprouvé un plaisir de monter ces escaliers. En me disant, comme ça, que j'étais parmi les nombreux policiers de France, un chanceux. "
Des pas qui résonnent dans le mythique escalier du 36, quai des Orfèvres. Des gros bras de la BRI transportent une armoire blindée. Plus haut, lorsqu'on gravit les 148 marches, c'est un autre bruit : du scotch pour sceller les derniers cartons dans les couloirs de la Crim'. On y croise Richard, un quart de siècle de maison. Et de souvenirs : "J'en ai vu des criminels monter les escaliers... Des personnes comme Claude Lastennet, le premier serial killer que j'ai fait, qui avait tué sept mamies. En 25 ans, j'ai toujours éprouvé un plaisir de monter ces escaliers. En me disant, comme ça, que j'étais, parmi les nombreux policiers de France, un chanceux."
Photos Pierre de Cossette
Fierté et gorge serrée à l'idée de partir. Qu'importent les sols défraîchis et la peinture écaillée. Plus haut, au 4e étage, presque sous les toits, on trouve Virginie. Elle a compté : 5 ans, 5 mois et 17 jours ici. Et quelques gardes à vue dans son bureau : "Il y a juste une petite fenêtre, un vasistas. Oui, ça ne fait pas beaucoup de lumière. Là-bas, il y aura de grandes fenêtres. Mais en même temps, ça donnait un côté intime. Je pense que lors des garde à vue ça joue aussi. Il y a toujours un moment donné où ils se livrent un petit peu. Ce genre de bureau participe au dialogue. Moi, je pense que je vais reconstituer un peu ce que j'avais là. Moi, j'ai besoin d'un univers à moi, donc j'accroche beaucoup de choses. On est obligé de personnaliser, on y passe la majorité de notre temps, quand même. Plus que chez nous."
Retour dans le couloir et son lino noir, usé. Les galeries de photos annuelles de la Brigade ont été décrochées. On longe le filet antisuicide, tendu au-dessus du vide, après la tentative de Nathalie Menigon d'Action directe. Quelques mailles ont disparu ces derniers jours. Trophées probables d'enquêteurs mélancoliques. Puis on redescend dans le bureau 315. Celui du patron de la Crim'. L'énorme coffre fort n'ira pas au Batignolles, trop lourd, même délesté de ses photos et documents les plus secrets, transmis de chef en chef, aujourd'hui, le commissaire Michel Faury.
"C'est vrai, c'est un bureau mythique, le 315", confie le patron de la Crim'. "Il a deux fenêtres qui donnent sur la Seine, il est en même temps un peu vieillot, mais avec un mobilier qui rappelle les grandes heures de la police judiciaire. Là, aujourd'hui, il est pratiquement vide donc il y a un peu d'écho. Il est du coup un peu plus triste. Une fois qu'on a lancé le déménagement, il faut aller au bout des choses. Voyez, on a l'impression qu'il n'est plus habité. On est poussé à tourner la page. Dans ces nouveaux locaux, on va élucider de belles enquêtes. On donnera peut-être à cette nouvelle adresse, le 36 rue du Bastion, une réputation à la hauteur du 36 quai des Orfèvres. Le 36 Quai des Orfèvres, où l'histoire retiendra que le dernier suspect interrogé l'aura été pour terrorisme. L'agresseur d'un militaire de Sentinelle, au métro Châtelet. Comme un signe des temps..."