Son ton moqueur avait scandalisé : l'opératrice du Samu qui avait raillé fin 2017 au téléphone Naomi Musenga, une jeune femme morte peu après à l'hôpital, comparaît jeudi à Strasbourg, "un soulagement" pour la famille de la victime qui veut la "justice". Cette femme de 60 ans, définitivement suspendue du Samu et actuellement sans emploi, est jugée à partir de 08H30 en correctionnelle pour "non-assistance à personne en danger" : il lui est reproché de "ne pas avoir respecté les protocoles" de prise en charge "et les bonnes pratiques" du Samu, selon le parquet.
Elle encourt cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende. Plus de six ans après les faits, la tenue de ce procès "est un grand soulagement", a déclaré la mère de Naomi, Honorine Musenga, lors d'une conférence de presse tenue mercredi soir à Strasbourg avec deux de ses enfants et leur avocat, Jean-Christophe Coubris.
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La famille veut "la justice", a abondé Louange, la soeur de Naomi. "Comprendre" aussi "ce qui s'est passé dans la tête de cette personne", "savoir s'il y a un minimum de regrets" de la part de l'opératrice qui n'a, "jusqu'à présent", pas présenté d'excuses.
La famille de la victime demande "un pardon"
Gloire, son frère, a souhaité "un pardon" de la part de l'opératrice "pour ce qu'elle a fait". Mère d'une enfant de 18 mois, Naomi Musenga est décédée le 29 décembre 2017 à l'hôpital de Strasbourg après avoir été prise en charge avec "un retard global de près de 02H20", selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Se plaignant d'importantes douleurs au ventre, elle avait pris contact avec les pompiers qui avaient transféré l'appel au Samu. L'échange entre les deux opératrices se faisait déjà "sur un ton moqueur", avait relevé l'Igas.
"J'ai très mal au ventre", "je vais mourir...", soufflait ensuite Naomi, peinant à s'exprimer. "Oui vous allez mourir, certainement un jour comme tout le monde", rétorquait la régulatrice, employant "un ton dur, intimidant et déplacé face à des demandes d'aide réitérées", toujours selon l'Igas. Avant de raccrocher. Naomi avait fini par être dirigée vers SOS Médecins et hospitalisée, mais bien trop tard.
L'échange avait filtré sur les réseaux sociaux et dans les médias quelques mois plus tard, déclenchant un tollé. "Sans cette bande sonore diffusée de très nombreuse fois, je ne suis pas certain que l'on aurait eu une date d'audience", a estimé Me Coubris. À l'issue de la conversation, l'opératrice n'avait pas transmis l'appel à un médecin régulateur, contrairement à ce qu'imposait la procédure en cas de douleurs abdominales et n'avait posé "aucune question" pour renseigner "l'état clinique de la patiente", a pointé l'Igas.
L'avocat de la prévenue, Olivier Grimaldi, avait indiqué en mai à l'AFP qu'il contestait ces poursuites, regrettant que l'employeur ou les supérieurs de sa cliente n'aient pas été poursuivis. Jeudi, il devrait demander à ce que l'affaire "soit renvoyée à l'instruction", jugeant insuffisamment motivé le renvoi de sa cliente devant le tribunal, a indiqué Me Coubris. Sollicité par l'AFP, Me Grimaldi n'a pas donné suite.
Création d'un diplôme d'assistant de régulation médicale
"Le juge ne peut pas faire ça, il ne peut pas renvoyer" le procès, a réagi Honorine Musenga. "Déjà pour arriver là, c'était beaucoup de douleurs..." L'instruction a été ponctuée d'expertises et de contre-expertises. Après la mort de Naomi, une première, dénoncée par sa famille, avait conclu à un décès consécutif à une "intoxication au paracétamol absorbé par automédication sur plusieurs jours". Mais une autre expertise avait évoqué un accident vasculaire digestif ayant entraîné une hémorragie.
L'enquête avait également été ouverte pour "homicide involontaire". Mais les expertises n'ont pas relevé de "lien de causalité" entre le retard de prise en charge de la jeune femme et son décès. Naomi se trouvait déjà "au-delà de toute ressource thérapeutique au moment du premier appel au Samu", selon l'enquête. Me Coubris va demander des comptes au civil à l'hôpital de Strasbourg devant le tribunal administratif, a-t-il dit.
En juillet 2019, 18 mois après le décès de Naomi Musenga, avait été créé le diplôme d'assistant de régulation médicale (ARM), désormais obligatoire pour travailler dans les centres de régulation des appels des services d'aide médicale urgente.