En plein débat sur les ravages du crack à Paris, le gouvernement s'achemine-t-il vers un développement des "salles de shoot" ? Le ministère de la Santé a officialisé vendredi son souhait d'autoriser durablement l'existence de ces salles de consommation à moindre risque.
Le ministère "souhaite pérenniser ces dispositifs dans le droit commun, afin de laisser la possibilité aux communes d'ouvrir de nouvelles salles", face au bilan "positif" des deux structures expérimentées à Paris et Strasbourg depuis 2016, ont expliqué les services d'Olivier Véran à l'AFP, confirmant une information du Monde.
Projets en gestation à Bordeaux et Marseille
Ces salles permettent à des centaines de toxicomanes de s'injecter de l'héroïne et d'autres opiacés avec du matériel stérile et, dans une moindre mesure depuis fin 2019, de fumer du crack dans un environnement sécurisé. Le cadre dérogatoire qui leur permet d'opérer prend fin en 2022 et une pérennisation nécessite de les inscrire dans la loi avant la fin du mandat présidentiel d'Emmanuel Macron.
La création de nouvelles salles pourrait ainsi être autorisée au cas par cas par le ministère, après concertation entre élus locaux, agences régionales de santé, préfectures et parquets.
Politiquement épineux, des projets de ce type sont en gestation depuis des mois à Bordeaux et à Marseille et ont été mis en sourdine lors des dernières élections municipales.
Cette pérennisation n'est toutefois pas encore actée. Le sujet doit être arbitré prochainement par le Premier ministre Jean Castex, au moment même où les autorités semblent impuissantes pour endiguer la consommation de crack qui gangrène le nord-est de Paris, malgré un plan mené conjointement depuis trois ans par la ville et divers services de l'État.
Face à une situation qui dégénérait dans le quartier parisien de Stalingrad, la police tente depuis fin mai de contenir les fumeurs de crack dans le parc du jardin d’Éole, au grand dam des riverains.
Polémique à Paris
Fin mai, l’Inserm a recommandé "une mise à l'échelle nationale" des salles de consommation à moindre risque, dans une étude faisant le bilan des dispositifs français. Selon ce document, les deux "salles de shoot" de Paris et Strasbourg démontrent leur efficacité.
Les toxicomanes qui les fréquentent sont en meilleure santé, ont moins de risque de contracter le VIH ou l'hépatite C et finissent moins aux urgences. L'étude conclut également à "une absence de détérioration de la tranquillité publique" depuis leur création.
Les vécus parisiens et strasbourgeois restent pourtant très différents. Située dans l'enceinte d'un vaste hôpital, avec peu de riverains autour, la salle alsacienne est plutôt consensuelle. Mais celle implantée dans la capitale, en plein cœur du Xe arrondissement, continue de faire polémique. "Avant, les toxicomanes s'injectaient (le produit) dans des recoins du quartier près de la Gare du Nord, on était moins exposés", raconte à l’ADP Sophie, une voisine souhaitant rester anonyme.
"À l'extérieur de la salle, ça ne se passe pas bien du tout", poursuit la quadragénaire, excédée par les injections, bagarres et défécations en pleine rue. "Les toxicomanes errent dans nos rues, sans suivi psychiatrique ni hébergement, et les autorités minimisent ce qu'on vit".
Riveraine depuis 15 ans, Cécile Dumas estime de son côté que "l'arrivée de la salle a plutôt permis de réduire les injections dehors" et apprécie d'avoir "un interlocuteur à appeler en cas de problème" avec un toxicomane. Cette documentariste a "vu la différence lorsque la salle a quasiment fermé pendant le premier confinement : la dégradation était très nette, avec beaucoup plus d'injections." "Ce qui est clair, c'est qu'avec une seule salle pour Paris et toute sa région, ça ne peut pas marcher", considère-t-elle.
Un discours également porté par Gaïa, l'association gestionnaire de la structure. "Bien sûr que tout n'est pas parfait, mais c'est parce que nous sommes seuls", argue sa présidente Elisabeth Avril, soulignant aussi les déficiences en matière d'hébergement et de prise en charge psychiatrique.
"Des villes comme Barcelone, Zurich ou Montréal ont toutes plusieurs salles", abonde la déléguée générale de la Fédération Addiction, Nathalie Latour, qui dénonce "une situation ubuesque" à Paris. "Faire une maraude au jardin d'Eole, c'est déjà accompagner la consommation de crack, mais dans des conditions dramatiques. Utilisons les vrais outils à notre disposition", souhaite-t-elle.