Les écoles primaires seraient dans un état désastreux à Marseille. "Ces conditions et la souffrance dans laquelle vivent au quotidien ces élèves, ces enseignants et personnels, ne sont pas dignes de la République", a dénoncé Najat Vallaud-Belkacem mercredi, dans une interview à La Provence. Et vendredi, la ministre de l'Education a demandé aux préfets d'enquêter sur l'état des établissements scolaires de la ville, notamment dans les quartiers difficiles.
>> Comment en est-on arrivé- là ? Comment réagit la mairie, seule compétente en matière de rénovation des écoles ? Europe 1 vous raconte le dossier en cinq actes.
Acte I : la lettre de Charlotte Magri. Le sujet de l'état des écoles des quartiers nord de Marseille n'est pas nouveau. Il y a deux ans, Lise Massal, maman d'une élève des quartiers phocéens difficiles, avait déjà publié un Manifeste des écoles, dénonçant l'inégalité de traitements entre les écoles primaires de la ville des quartiers "riches" et celles des quartiers populaires. Un an plus tard, plusieurs parents s'étaient également plaints au travers des réseaux sociaux et avaient créé des "groupes de témoignage et de vigilance, comme le raconte Libération". Mais c'est la lettre au vitriol, envoyée fin novembre par une enseignante des quartiers nord à Najat Vallaud-Belkacem (la lettre en intégrale est à retrouver ici) et relayée par la presse, qui a relancé le débat.
Charlotte Magri décrit dans sa lettre l'environnement dans lequel elle évolue au quotidien : des salles de classes surchauffées l'été et glaciales l'hiver (les élèves portant des doudounes), insalubres, avec "des trous tout à fait ludiques qui égayent le revêtement au sol et qui nous rappellent que sous les dalles se trouve l’amiante" ou encore des escaliers avec de "grosses planches pointues qui menacent de choir lamentablement sur les enfants".
>> iTélé a compilé un certain nombre de photos de classes délabrées :
Marseille : les parents d'élèves dénoncent la...par ITELE
Acte II : la mobilisation repart. Au bout d'un mois de non réponse de la part de la ministre, Charlotte Magri lance une pétition en ligne, qui recueille plus de 16.000 signatures en trois semaines. Puis lundi, le collectif Castellane, réunissant des écoles de quartiers nord, lance un appel demandant la mise en place d’un "état d’urgence dans les écoles marseillaises". "Nous exigeons de la municipalité qu’elle donne les moyens qui sont dus à tous les enfants de la République française. Nous exigeons de l’Etat, et plus particulièrement des services de l’Education Nationale, qu’ils prennent leurs responsabilités pour que le principe républicain d’égalité soit respecté", écrivent ces enseignants, relayés par Libération.
Le quotidien consacre d'ailleurs un dossier entier au sujet, avec des témoignages et des photos de salles délabrées. "A Marseille, l’état des écoles dépend de la capacité des parents d’élèves et ou des directeurs à se mobiliser. Dans les quartiers favorisés, les familles sont parfois plus armées pour faire pression sur les élus, et l’école de leur enfant a plus de chance d’être mieux entretenue. Mais malheureusement, les plafonds qui s’écroulent, les cafards, les locaux vétustes, cela n’a rien d’exotique à Marseille…", dénonce une maman d'élève.
Acte III : la machine s'emballe. L'article de Libération est relayé dans de nombreux médias. Plusieurs "témoignages" de parents et d'enseignants sont partagés sur les réseaux sociaux tout au long de la semaine. Parmi ces parents, Sabrina dénonce par exemple sur Europe 1 des "cas de gale", et la présence massive de chenilles dans la cour de l'école de ses enfants. "Dans la cour, ils jouent avec les chenilles. C'est envahi et on les laisse jouer. Ils ont des boutons partout. Il y a urgence", déplore-t-elle.
La gauche marseillaise se fait également le relais des enseignants et des parents. "La réalité est affligeante, désastreuse, triste", dénonce ainsi Samia Ghali, sénatrice-maire PS des 15 et 16e arrondissements de Marseille, énumérant : "une classe nauséabonde parce que vous avez des moisissures sur les sols ou les murs, une classe où vous devez garder votre veste parce qu'il fait froid, un tableau qui menace de tomber, des fenêtres condamnées parce qu'elles menacent aussi de tomber, une cour de récréation qui ressemble à un champ de bataille…"
>> (Ré)écoutez le reportage de notre correspondant :
Ecoles insalubres : reportage à Marseille Nord par Europe1fr
Acte IV : le gouvernement s'en mêle. Mercredi, Najat Vallaud-Belkacem donne une interview à La Provence, annonçant "avoir pris contact avec les services du rectorat pour avoir un point complet". Elle assure également avoir obtenu des "engagements" de la part de Jean-Claude Gaudin. Et rappelle les "efforts" déjà effectués par l'Etat. L'Agence nationale pour la rénovation urbaine, dit Anru, a en effet déjà permis le déblocage de cinq millions d'euros d'investissement dans des écoles marseillaises. En 2014, 1,2 million d'euros de subventions ont aussi été accordés à des établissements de quartiers prioritaires, au titre de la "politique de la ville". Et vendredi, la ministre demande donc par courrier au préfet des Bouches-du-Rhône d'"évaluer les conditions de fonctionnement du service public d'éducation dans les écoles" de Marseille.
Acte V : la mairie contre-attaque. Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, réagit dès mercredi sur Public Sénat. "C’est une description apocalyptique et très exagérée. C’est très facile de prendre dans une école sur 444 - ou deux ou trois - ce qui ne va pas et de le mentionner d’une façon extraordinaire. C’est très excessif par rapport à la réalité des choses", déplore-t-il, dénonçant une "manipulation politicienne".
Invité vendredi sur Europe 1, Yves Moraine, le maire des 6 e et 8 e arrondissements de Marseille, défend son mentor. "Il y a 7.000 classes. Je ne serai pas à ce point imprudent pour dire qu'il y a du linoléum décollé par-ci, ou un problème de robinet par-là. Mais les articles de presse ne sont pas tous exacts", se défend l'élu. "En 2015, la ville de Marseille a consacré 31,5 millions d'euros en travaux de rénovation dans les écoles. Plus de 3.000 interventions ont eu lieu", renchérit-il, faisant une différence entre "les parents qui peuvent se plaindre, qu'il faut écouter et rassurer" et "la ministre qui a complètement perdu les pédales et qui fait sa com' sur le dos des Marseillais".
L'enquête des préfets devrait permettre d'avoir une vision plus précise de l'étendue des dégâts. Reste à savoir si la mairie de Marseille s'accordera sur leurs conclusions.