Édouard, 42 ans, est exploitant agricole dans la Creuse. Ce père de famille s'est confié sur sa situation de précarité au micro d'Olivier Delacroix sur Europe 1. "Si on vendait notre viande correctement, on n'aurait pas besoin" des subventions de l'État, explique-t-il : "On en a marre d'être assistés."
"On travaille avec du vivant donc ce n'est pas toujours facile. J'ai eu un problème cardiaque sur des veaux, j'en ai perdu 37 sur un an et demi. Pour se relever, c'est très compliqué quand on vient de s'installer. On a l'impression de ne pas avancer, de patauger, de ne pas faire le métier correctement. Avec l'expérience, je pense pourtant n'être un pas trop mauvais agriculteur mais vu les conjonctures, je pense qu'il y a un problème dans le soutien politique. On parle très peu de nous, on est tous à fleur de peau, on a tous des problèmes de santé parce qu'on ne compte pas nos heures, on n'a pas de vie de famille. [Je travaille] 70-80 heures par semaine. On peut se coucher à 1h du matin, se relever à 3h, ne pas dormir de la nuit. La nuit, il y a la calculatrice dans la tête pour savoir si on va pouvoir payer l'échéance qui arrive à la fin du mois, si on va pouvoir faire rentrer du fuel pour pouvoir travailler dans les champs. C'est très compliqué.
Je ne gagne même pas 100 euros par mois. J'arrive à prendre 100 euros pour faire plaisir à mes enfants. J'ai un fils qui est au lycée donc il lui faut un petit peu de pièces pour pouvoir s'acheter un café. [Une fois que j'ai tout payé], il reste à peine 100 euros, c'est rien. A gagner, c'est très dur mais ce n'est rien. Il y a des gens qui ne comprennent pas notre situation. Quand il y a des amis qui nous proposent un restaurant on leur répond : 'Bah non, on ne peut pas faire un restaurant.' Tout est calculé, c'est compliqué.
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"On travaille à perte"
Les gens ne comprennent pas que l'on travaille avec du vivant. Une vache, ça porte neuf mois. Il faut entre neuf mois ou dix-huit mois selon ce que l'on veut en faire. On peut perdre la bête du jour au lendemain donc c'est une perte sèche pour l'exploitation. Les cours ne vont pas bien du tout. Et sur les chartes pour pouvoir augmenter un petit peu notre produit, on entend dire : 'Ce sont encore les agriculteurs qui augmentent leurs produits, on met les gens dans la précarité.' Il faut arrêter de dire ça, on travaille à perte. Qui voudrait travailler à perte ? Je suis concerné [par la précarité]. Je suis allé aux Restos du Cœur, je sais ce que c'est.
L'État nous donne des subventions mais on a des cahiers des charges à remplir. Si on vendait notre viande correctement, on n'aurait pas besoin de tout ça. On en a marre d'être assisté. On est des assistés dans le monde agricole à l'heure actuelle. J'ai honte de mon métier. Il ne faut pas mais on en arrive à un moment où on ne vit pas pour nous, on vit pour nos bêtes. Il faut que tout le monde se mette à la page. La viande ça ne donne pas le cancer, les légumes non plus. Il faut arrêter. Les gens qui produisent des légumes, ils travaillent dans le froid, dans la chaleur, ça ne vient pas tout seul !"
L'avis d'Houria Tareb, secrétaire nationale du Secours populaire :
"Depuis 2008, on constate dans nos permanences d'accueil, une augmentation de plus d'un million. On est passé de deux millions de personnes accueillies dans nos permanences d'accueil à trois millions aujourd'hui. C'est très important. On considère qu'une personne est en précarité à partir du moment où elle n'a pas assez de ressources pour subvenir à ses besoins vitaux. Si elle ne pas se nourrir, si elle ne peut pas se loger, on considère qu'elle est vraiment en précarité.
On est très, très inquiet parce que la précarité augmente. Il y a peu de solutions qui sont proposées pour avoir un avenir meilleur pour toutes ces personnes-là. Je comprends que les personnes soient en colère et que ce soit compliqué pour elles. Ils demandent tous à avoir une vie décente."