C'était la troisième journée de face à face entre deux camps qui semblent désormais irréconciliables. Mardi, les organisations syndicales ont appelé à une nouvelle journée interprofessionnelle de mobilisation contre la réforme des retraites. Alors que le haut-commissaire en charge du dossier, Jean-Paul Delevoye, a été poussé à la démission après les révélations de manquements dans sa déclaration d'intérêts, chacun a campé sur ses positions. En dépit du départ du "monsieur retraites", le gouvernement est resté ferme sur sa volonté de mener le projet au bout. Les syndicats, eux, sont d'autant plus arc-boutés sur leur refus que même la CFDT, pourtant réformiste, a rejoint le clan des opposants.
Les trois infos à retenir
- C'était la troisième journée interprofessionnelle de mobilisation contre la réforme des retraites, avec pour la première fois tous les syndicats dans la rue
- Entre 615.000 (selon le ministère de l'Intérieur) et 1,8 million de personnes (selon la CGT) ont battu le pavé
- Dans les écoles, la mobilisation a perduré, avec entre 25% (selon le ministère) et 50% de grévistes (selon les syndicats)
Des centaines de milliers de personnes dans la rue
Plusieurs défilés ont débuté en fin de matinée. C'est le cas à Marseille, où la mobilisation a réuni plus de monde que le 10 décembre dernier. Et si dans le cortège tous les syndicats étaient présents, la fracture entre la CFDT d'une part, et la CGT de l'autre, a été visible, puisque les syndicats ne défilent pas côte à côte. "On trouve que le gouvernement a franchi la ligne rouge sur l’âge de départ à la retraite qui augmente de deux ans. Et ça, pour nous, c’est inacceptable", a témoigné pour sa part Serge, de la CFDT, interrogé par Europe 1. "Il faut que Macron retire son projet, qu’il apaise le pays et qu’il renégocie l’existant pour l'améliorer", a renchéri de son côté Georges, qui illustre la ligne plus dure de la CGT.
D'autres rassemblements ont lieu à Montpellier, Grenoble, Besançon, Nantes et dans de nombreuses autres villes de France. A Lyon, un blocage des entrées et sorties du port Édouard Herriot dans la matinée ont entraîné des perturbations de circulation, tandis qu'à Rennes, le réseau des lignes de bus (Star) a été perturbé en raison d'un blocage par des manifestants du dépôt de bus et de la présence de barrages filtrants sur plusieurs axes routiers. A Cherbourg, des actions du même type étaient menées.
À Paris, le cortège s'est réuni à partir de la mi-journée place de la République, pour s'élancer vers 14 heures en direction de la place de la Nation. L'ambiance s'est brusquement tendue avant même le départ du défilé, la police faisant usage de grenades de désencerclement, selon des journalistes sur place. La préfecture de police a indiqué avoir interpellé cinq personnes en début d'après-midi.
Particularité de la manifestation, elle s'est décomposée en deux cortèges distincts empruntant un seul et même chemin. A l'avant, celui de la CGT, de FO, de Solidaires et de la FSU, qui réclamaient le retrait pur et simple de la réforme. A l'arrière, celui de la CFDT, de la CFTC, et de l'Unsa qui ne réclament "que" le retrait que de l'âge pivot, annoncé mercredi par Edouard Philippe. "Vous nous voyez, nous, les femmes, tenir jusqu'à 64 ans", s'énervait Linda, militante CFDT chez Carrefour. "Moi j'ai trois enfants. Il faut faire le ménage, les devoirs, s'occuper de ses gamins. Je n'ai que 37 ans et je suis fatiguée."
Au total, 615.000 manifestants ont été comptabilisés par le ministère de l'Intérieur, dont 76.000 à Paris. "La journée, ça y est, est un franc succès", a estimé Philippe Martinez, leader de la CGT, qui revendique 350.000 manifestants dans la capitale et 1,8 million en tout. Les chiffres du syndicat sont donc en hausse par rapport à la journée du 5 décembre (1,5 million), pas ceux du gouvernement (850.000).
Mobilisation en forte hausse à la SNCF
La mobilisation contre la réforme des retraites était en forte hausse par rapport à lundi à la SNCF, où un tiers des cheminots (32,8%) étaient grévistes (après 11,2% lundi), et 75,8% des conducteurs (61% lundi), a annoncé la direction. Parmi les personnels indispensables à la circulation des trains, 59,2% des contrôleurs et 34% des aiguilleurs étaient en grève (contre respectivement 41% et 17,3% lundi), au 13ème jour consécutif du mouvement. En progression, ces taux sont néanmoins inférieurs à ceux enregistrés au matin du premier jour de cette grève illimitée, le 5 décembre, quand plus d'un cheminot sur deux (55,6%) avait cessé le travail (85,7% des conducteurs, 73,3% des contrôleurs, 57% des aiguilleurs), d'après la direction.
Par ailleurs, la SNCF a annoncé que tous les passagers qui avaient réservé un train pour ce week-end, soit 850.000 personnes, seraient bien transportés. Un peu plus de la moitié (53%) ont un train qui circule, 15% sont replacés dans un train partant le même jour à un autre horaire et les 32% restant devront échanger eux-mêmes leur billet pour une réservation le même jour vers la même destination.
Quid de la mobilisation des enseignants ?
La nouvelle journée de mobilisation dans l'éducation contre la réforme des retraites se traduisait mardi par un taux de grévistes de 25,05% dans le primaire et de 23,32% dans le secondaire (collèges et lycées) selon le ministère, et de respectivement 50% et 60% d'après les syndicats.
Le mouvement est plus fort en Ile-de-France et notamment à Paris, où le ministre, Jean-Michel Blanquer, disait s'attendre mardi matin sur Europe 1 à 58% de grévistes dans les écoles. "A trois jours des vacances de Noël, c'est une très forte mobilisation qui traduit le niveau d'exaspération des enseignants", a déclaré à l'AFP Régis Metzger, co-secrétaire général du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire.
Comment réagit le gouvernement ?
De son côté, le gouvernement a affiché de la fermeté. "Ma détermination, celle du gouvernement, celle de l'ensemble de la majorité est totale", a lancé Edouard Philippe mardi, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. "Elle est totale sur la création de ce régime universel et sur la nécessité de faire prévaloir l'équilibre du système futur et la remise à l'équilibre du système actuel."
Des transports très perturbés mardi
La SNCF prévoit un TGV sur quatre en circulation et un Transilien (RER SNCF, trains de la banlieue parisienne) sur cinq "en moyenne" pour cette troisième journée nationale interprofessionnelle de protestation contre ce projet gouvernemental. Il y aura trois liaisons TER sur dix, "essentiellement" assurées par autocars. Seulement 5% des trains Intercités circuleront. Le trafic international sera "perturbé".
A la RATP, huit lignes de métro sont fermées : les lignes 2, 3bis, 5, 6, 7bis, 10, 12 et 13. Les lignes de métro automatiques 1 et 14 fonctionnent normalement, comme la ligne Orlyval qui dessert l'aéroport d'Orly. Le trafic sur les lignes de métro 4, 7, 8 et 9 sera assuré partiellement aux heures de pointe, tandis que la ligne 11 sera ouverte en partie "pour la pointe du matin" et la ligne 3 partiellement "pour la pointe du soir". Côté bus et tramways, le trafic est "perturbé", avec un bus sur trois "en moyenne" toute la journée et des circulations variant d'une ligne de tramway à l'autre.
Sur les lignes des RER A et B, exploitées en commun par la SNCF et la RATP, un RER A sur deux "uniquement" aux heures de pointe" est annoncé. Pour le RER B, l'interconnexion restera "suspendue" à la gare du Nord. Il y aura un train sur trois "en moyenne" toute la journée sur la portion nord exploitée par la SNCF, tandis que sur la portion sud gérée par la RATP, il est prévu un train sur trois seulement aux heures de pointe, selon les deux groupes.