"L'état d'urgence ne peut pas être un état permanent", estimait Manuel Valls le 20 avril dernier. Instauré au soir des attentats du 13 novembre à Paris, l'état d'urgence est pourtant en passe d'être prolongé pour la troisième fois. Jeudi, l'Assemblée nationale doit en effet donner son feu vert à une prorogation d'une durée de deux mois, jusqu'au 26 juillet 2016. Au grand dam d'une partie de la gauche et du monde militant et associatif.
Un vote sans surprise. Ce vote intervient après celui, favorable, du Sénat la semaine dernière. Et son issue ne laisse que peu de place au doute. La Commission des lois de l'Assemblée nationale a en effet adopté, mardi, le projet de loi visant à prolonger l'état d'urgence sans le modifier. Dans l'hémicycle, la majorité des députés sont favorables au texte. Le soutien de la droite est acquis, même si les élus Les Républicains pointent une incohérence du gouvernement, qui prolonge l'état d'urgence mais autorise toujours des mouvements de protestation comme "Nuit debout". Seuls les députés d'extrême gauche, certains écologistes et une minorité de socialistes devraient voter contre, exactement comme lors du dernier scrutin sur le sujet, le 16 février dernier.
"Impact négatif sur les droits humains". Au sein du monde militant et associatif, en revanche, l'opposition à l'état d'urgence est autrement plus vive. Amnesty International France dénonce ainsi la "pérennisation d'un régime aux conséquences extrêmement lourdes pour les droits humains". L'ONG fustige notamment des assignations à résidence sans raison valable, qui n'ont donné aucun résultat probant en matière de lutte antiterroriste mais ont eu des conséquences lourdes pour les personnes visées, comme la perte d'emploi. En outre, certains assignés sont également des réfugiés. Certains d'entre eux ont été convoqués pour, dans certains cas, se voir notifier un nouvel examen de leur statut. "L'impact négatif sur les droits humains est totalement disproportionné au regard des résultats escomptés", estime donc Amnesty.
L'état d'urgence détourné. Les critiques contre l'état d'urgence s'appuient également sur les interdictions de manifester qui ont été notifiées à une cinquantaine de personnes, au début de la semaine, dans un contexte de grogne sociale contre la loi Travail. L'état d'urgence permet en effet "d'interdire le séjour, dans tout ou partie [d'un] département, à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics". Pour bon nombre de collectifs et d'associations, l'état d'urgence a donc été détourné par les pouvoirs publics pour endiguer la contestation politique. "C'est une dérive de la démocratie", estime l'avocat de la Ligue des Droits de l'Homme, Patrice Spinosi, sur France Info. "L'état d'urgence est aujourd'hui utilisé par le gouvernement non plus simplement pour lutter contre le terrorisme mais pour faire de la réglementation intérieure."
" C'est une dérive de la démocratie "
Le tribunal administratif de Paris a d'ailleurs semblé donner raison, mardi, à celles et ceux qui dénonçaient un détournement de l'état d'urgence. Sur les dix arrêtés préfectoraux qui interdisaient à des individus de circuler le jour d'une nouvelle mobilisation contre la loi Travail, neuf ont été suspendus. "Le préfet de police a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation", a estimé la juge, qui a également condamné la préfecture de police de Paris à verser 500 euros de dédommagement à chacun des prévenus.
Un contrôle parlementaire "vigilant". Ces inquiétudes ont même été soulevées par les deux rapporteurs du texte à l'Assemblée, les députés Dominique Raimbourg (PS) et Jean-Frédéric Poisson (PCD). Dans leur "communication d'étape sur le contrôle de l'état d'urgence", présenté mardi à la commission des Lois, les élus ont constaté que l'état d'urgence "altère sensiblement le régime de la liberté de manifestation". "La préoccupation du maintien de l'ordre public, même si elle est légitime, ouvre à l'État un champ d'action potentiellement beaucoup plus vaste que la lutte contre le terrorisme", rappellent les députés. Qui promettent donc de poursuivre "un contrôle parlementaire d'autant plus vigilant".
Pas question, cependant, de remettre en cause l'état d'urgence. Quand bien même celui-ci "ne présente plus le même intérêt aujourd'hui" qu'au lendemain du 13 novembre, la perspective de l'Euro 2016 et du Tour de France, deux événements sportifs très suivis, justifie, selon eux, sa prorogation. Celle-ci doit en effet permettre de répondre à des "questions d'ordre public".