Le projet Cigéo (centre industriel de stockage géologique) d'enfouissement de déchets nucléaires à Bure, dans la Meuse, cristallise les tensions. Mardi, des incidents ont éclaté en marge d'une manifestation contre le projet orchestré par l'Andra, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. La gendarmerie a fait usage d'un canon à eau, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogène contre une partie des manifestants présents sur le site.
Les protestations ne sont pas nouvelles. Depuis 1998, et la désignation du site de Bure comme lieu de stockage profond de déchets nucléaires, les actions contre le projet se multiplient. Mais en quoi consiste ce projet ? Et quels sont les problèmes soulevés par les manifestants ? Europe 1 fait le point.
Quelle est la nature du projet ?
83.000 m² de déchets sous terre. Le projet Cigéo vise à enfouir à 500 mètres sous terre jusqu'à 83.000 m² de déchets nucléaires radioactifs pendant des millions d'années. Ils seront entreposés sous la nappe phréatique dans une strate argileuse située à Bure, dans la Meuse.
Seulement les déchets les plus radioactifs. Mais tous les déchets nucléaires ne sont pas concernés par ce projet. Seuls les déchets les plus radioactifs du parc français seront enfouis à Bure : les déchets que l'on dit de moyenne activité à vie longue, soit environ 3% des déchets radioactifs français et les déchets de haute activité (0,2% des déchets français), liés au fonctionnement des centrales nucléaires.
Contrairement à 90 % des déchets nucléaires, ces déchets-là ne peuvent pas être pris en charge par une filière d'élimination car ils sont très radioactifs. Surtout, il faut des centaines de milliers voire des millions d'années pour qu'ils perdent de leur radioactivité. D'où l'idée de les stocker en profondeur, la fermeture définitive du centre garantissant sa sûreté, selon l'Andra. "Le projet s'appuie sur la géologie", explique Frédéric Launeau, directeur de Cigéo, à Europe1.fr. "La strate argileuse dans laquelle seront stockés les déchets est quasi imperméable. L'enfouissement permettra d'étaler dans un temps long le retour dans la biosphère de la radioactivité."
Un budget de 25 milliards. Le projet, pharaonique, prévoit que les déchets arrivent sous terre grâce à un funiculaire de façon à ce que l'homme soit le moins possible en contact avec les déchets. Son coût est estimé par le ministère de l'Énergie à 25 milliards d'euros.
Pour l'heure, où sont stockés ces déchets ?
Actuellement, ces déchets sont stockés en surface sur plusieurs sites dans la Manche, dans le Gard et dans les Bouches-du-Rhône. "Mais les stocker en surface n'est pas optimal", assure le directeur de Cigéo. "Sur un temps long, ils pourraient être soumis à des aléas climatiques et de civilisation, comme les guerre et des attentats." Selon lui, il est urgent d'agir aujourd'hui pour éviter aux générations futures de porter ce fardeau.
Quand Cigéo doit-il être opérationnel ?
Le Parlement a déjà voté plusieurs projets de loi allant dans le sens du projet. En 2006, l'Assemblée avait estimé que le stockage en profondeur devait être la solution retenue pour traiter les déchets les plus radioactifs. Un autre feu vert a été donné en 2016 : le Parlement a approuvé les modalités de création du projet Cigéo. Mais celui-ci n'est pas validé pour autant. L'Andra prévoit de présenter son projet définitif pour la mi-2019. L'autorité de sûreté nucléaire et le conseil d'État trancheront. Si Cigéo est autorisé, les travaux pourraient commencer d'ici à 2021, le démarrage de l'exploitation du site en 2035 après une phase pilote et la fermeture définitive débuter en 2150.
Quelles sont les critiques que suscite le projet ?
Des réserves philosophiques. Pour les opposants, plusieurs problèmes se posent. Le premier est philosophique. "On préfère nous faire croire que l'on a trouvé une solution à la gestion des déchets radioactifs en les enfouissant en profondeur. Mais ce n'est pas le cas", dénonce sur Europe1.fr Jacques Leray, porte-parole du Cedra (Collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs). "En choisissant d'enfouir, on nie le problème lié au fonctionnement de l'industrie nucléaire. Et on ne fait pas confiance à l'espèce humaine, ni aux progrès de la science. La technologie peut évoluer et permettre dans plusieurs dizaines d'années de trouver une meilleure manière de traiter ce type de déchets, d'autant que l'enfouissement est irréversible."
La sûreté en question. Pour les opposants, Cigéo pose aussi un problème en terme de sûreté. "Il existe un grand risque de pollution de la nappe phréatique. On nous explique que l'enfouissement permettra de ralentir sur la durée le retour dans la biosphère de la radioactivité. Cette idée-même est inacceptable", ajoute Jacques Leray.
"On nous dit encore que la strate argileuse est stable depuis 160 millions d'années mais rien nous dit que la matière radioactive ne va pas la perturber. D'autres exemples d'enfouissements profonds dans le monde ont été catastrophiques", souligne le porte-parole du Cedra. "En Allemagne, on avait décidé d'enfouir les déchets dans du sel, que l'on disait stable. Mais le sel a décidé de se rebeller", étaye le porte-parole de l'association. En 2014, dans l'État du Nouveau Mexique, aux États-Unis, deux accidents graves se sont également produits dans le centre de déchets à vie longue Wipp où des colis de déchets nucléaires se sont dégradés.
Les "incertitudes" de l'ASN. Début août, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a elle aussi émis des "réserves" face à ce projet, évoquant notamment des "incertitudes" concernant le comportement de certains déchets hautement inflammables en cas d'élévation de température. Mais pas de quoi inquiéter l'Andra qui assure prendre en compte ces remarques pour le projet définitif qu'elle présentera en 2019.
Qu'en dit le ministre de l'Écologie ?
Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, n'a pas officiellement pris position sur Cigéo depuis son entrée au gouvernement. Il s'est borné à indiquer qu'il souhaitait "étudier davantage" ce projet. Mais les opposants ont récemment exhumé une photo, qui remonterait à octobre 2016, et sur laquelle on voit Nicolas Hulot - qui n'était pas encore ministre - tenir une pancarte proclamant : "Cigéo Bure, je dis non !".
Ce week-end, au #festivaldesburelesques nous avons tous été ravis d'apprendre que @N_Hulot aussi dit NON à #Bure#cigeopic.twitter.com/oU3Fv0CJHf
— CEDRA (@cedra_collectif) 13 août 2017