"On court, on se fatigue, on est épuisés." L'enchaînement est fréquent chez les 500.000 personnes qui travaillent dans des maisons de retraite et qui sont en grève mardi pour dénoncer le manque de moyens dans le secteur. Cet épuisement a notamment conduit une aide-soignante du Puy-de-Dôme à mettre fin à ses jours le mois dernier. Dans ce département, la souffrance du personnel des Ehpad (Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) est palpable.
Deux semaines sans douche. Ici, les soignants ne s’assoient que pour donner à manger aux malades. Quant à la toilette, elle est bien souvent bâclée. "Un coup sur la figure, un coup sur les fesses et un peu sur les mains. Les gens ne s’en vont pas dignement", se désole Patricia, 57 ans, toute seule pour quinze résidents, voire trente le soir. Des conditions dont pâtissent évidemment les patients : "Pour la douche, elles doivent être quatre, sinon elle est reportée. On peut parfois passer 15 jours sans prendre de douche", explique Bruno, pensionnaire d'un Ehpad de l'Eure-et-Loir depuis dix ans, qu'il paie 2.000 euros par mois.
Du côté de la direction, la situation est elle aussi infernale. "Les gens ne peuvent pas prendre leur repos ni leurs congés. On a vu des burn-out, des tentatives de suicide… Une fille s’était cachée au sous-sol parce qu’elle voulait se foutre en l’air, elle en avait marre de ne pas pouvoir s’occuper de ses papys et de ses mamies", raconte Marie-Claudine, directrice de l'Ehpad du CHU de Clermont-Ferrand. Le problème se vérifie à l'échelle nationale, avec des arrêts de travail qui sont deux fois plus nombreux que la moyenne chez les personnels soignants. C'est plus, par exemple, que chez les ouvriers du bâtiment.
"On est mal. On pleure", témoigne Patricia employée dans un Ephad :
L'enveloppe du gouvernement, insuffisante. Avec des effectifs en tension permanente, la solution pourrait venir du recrutement. Sauf que les Ehpad peinent à attirer, dans le privé comme dans le public. "Les horaires étaient devenus incompréhensibles et extensibles à souhait", relate Mireille, qui enchaîne parfois 12 heures de travail après avoir déjà fait un burn-out. "Pour me remplacer, il faut arrêter de prendre des personnes non qualifiées, car on n’est même pas sûr de les voir arriver le matin."
Face à cette situation, l'enveloppe de 50 millions d'euros promise par le gouvernement n'a pas convaincu les syndicats, qui estiment que le coup de pouce du ministère permettra de créer au mieux 2.500 postes, alors qu'il en faudrait 200.000. Selon eux, 10% des plus de 75 ans qui résident en Ehpad, soit environ 720.000 personnes en France, nécessitent un ratio d'un soignant pour un résident, ce qui constitue un objectif inatteignable aujourd'hui. Pour tenir, chacun a donc ses "trucs". Celui de Patricia : "On s'en va dans un petit coin et on pleure."
Mardi, une journée au ralenti dans les Ehpad
Des rassemblements sont attendus devant les Agences régionales de santé, comme des débrayages dans les maisons de retraites. Il y aura des assignations pour assurer les soins et l'hygiène de base dans les établissements concernés par la grève. "Ceux qui ne seront pas assignés pourront être en grève, tandis que ceux qui sont en repos ou en congés pourront participer à la mobilisation", explique Luc Delerue, délégué général Force ouvrière. En revanche, il n'y aura ni promenades ni sorties.