Étoiles jaunes en manifestation anti-pass sanitaire : "Il n'y a pas que des ignorants"

Coronavirus étoile jaune
Des manifestants ont arboré une étoile jaune avec l'inscription "non vacciné". © SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP
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, avec Thierry Dagiral
Que penser des nombreuses références à la Seconde Guerre mondiale et notamment à la Shoah aperçues lors des manifestations contre la politique sanitaire du gouvernement ? Pour le directeur du Mémorial de la Shoah, Jacques Fredj, "il y a une tentative de manipulation" lors de cette mobilisation hétéroclite.
ANALYSE

Des étoiles jaunes détournées, la devise 'Le travail rend libre', inscrite à l'entrée des camps de concentration, devenue 'Le pass sanitaire rend libre', nombre de comparaisons assimilant l'extension de ce dispositif à la dictature nazie, à la traque et à l'extermination des Juifs… De nombreuses références antisémites ont été observées lors des diverses manifestations contre le pass sanitaire, nouvel instrument du gouvernement pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. Des symboles totalement décontextualisées, affirme Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah et invité d'Europe 1, mercredi.

Comment avez-vous réagi à l'utilisation de ces symboles lors des manifestations contre le pass sanitaire ?

C'est pour nous extrêmement choquant parce que je comprends pas ou plutôt parfois, je les comprends mieux, ces raccourcis, cette capacité à décontextualiser. Au Mémorial, on accueille près de 100.000 élèves par an. C'est un exercice qu'on fait avec eux pour leur apprendre à décrypter et à comprendre le régime politique dictatorial. C'est évident que c'est totalement impropre de comparer le régime politique dans lequel nous vivons avec une dictature. Dans une dictature, il n'y a pas de Parlement, pas de liberté, pas de syndicat, pas le droit de manifester, pas le droit d'opposition, pas de liberté de la presse. C'est totalement délirant de vouloir comparer. Ça pose question parce qu'on se demande finalement s'il n'y a que des ignorants qui font ces comparaisons. Il y en a forcément. 

Dites-vous que l'on a raté quelque chose ? Faut-il constamment, encore, faire de la pédagogie ?

Oui, il faut enseigner de manière permanente. L'enseignement n'est pas fini à un instant T. C'est un peu le mythe de Sisyphe, il faut recommencer tous les ans. Les quelques heures qui sont consacrées à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ou à l'histoire de la Shoah ne sont pas toujours suffisantes. Il y a aussi une façon de voir les choses autrement. On peut se dire que finalement, l'histoire de la Shoah est devenue un mètre étalon. On ne convoque cette histoire pas seulement aujourd'hui, car il y a eu plusieurs occasions, à chaque fois, de comparer l'histoire de la Shoah à une situation actuelle. Nous, Mémorial, on passe notre temps à comparer l'histoire de la Shoah à d'autres génocides. La comparaison n'est pas interdite, ce n'est pas un tabou. Ce qui est invraisemblable, c'est de comparer des choses qui ne sont pas comparables.

" De leur part, il y a une tentative de victimisation "

C'est en cela que j'ai l'impression que, en dehors des ignorants, il y a quand même une volonté d'instrumentaliser, de récupérer, de faire du buzz en comparant (le pass sanitaire) avec le plus grand génocide qui a marqué l'histoire de l'Europe. Je pense qu'il y a aussi une petite tentative de manipulation. J'écoutais Le chant des partisans durant une manifestation et je me demandais si, chez certains, il n'y avait pas la volonté de vouloir embellir leur combat. Si "Macron=Hitler", tout d'un coup, il y a une tentative de victimisation et de devenir des résistants. Tout d'un coup, ils résistent dans un combat plus large pour la liberté, avec une référence à la Résistance, un combat auquel on se réfère encore aujourd'hui dans notre pays. Il y a une tentative de manipulation claire de la part d'un certain nombre de groupes politiques. Derrière, il n'y a pas que des ignorants, il y a des groupes politiques.

Le Mémorial de la Shoah, c'est également des expositions pour mieux comprendre l'histoire. En ce moment, c'est une exposition sur les homosexuels et les lesbiennes dans l'Europe nazie. C'est une page de l'histoire finalement assez méconnue.

Je dois vous avouer que lorsque nous avons décidé de faire cette exposition, on s'est retrouvé face à deux difficultés. Au Mémorial, nous confions toujours une exposition à un commissaire scientifique parce que nous voulons que l'exposition soit vraiment à la page et que les chercheurs puissent communiquer au grand public les fruits de leur travail. On s'est rendu compte qu'il y avait peu de chercheurs qui travaillaient sur le sujet des homosexuels et des lesbiennes sous le Troisième Reich.

Ce qui nous intéresse, nous, c'est aussi ce que ça dit de l'Allemagne nazie. Le nazisme, pour ceux qui ne le savent pas, c'est la vision raciale du monde la plus aboutie de l'histoire des génocides. Aller utiliser le Troisième Reich pour une comparaison aujourd'hui, c'est donc méconnaître totalement le nazisme et oublier qu'il y a une idéologie raciale derrière. Dans cette exposition, on le montre bien parce que ce qui dérange les nazis, c'est finalement cette 'perversion' que pour eux représente l'homosexualité.

En France, ce n'est qu'en 2001, avec un discours du Premier ministre socialiste Lionel Jospin, que la déportation des homosexuels est reconnue officiellement par l'État. Pourquoi si tard ?

Parce que d'abord, la place des homosexuels et des lesbiennes dans la société pose problème pour un certain nombre d'hommes politiques dans l'opinion publique, ça n'intéresse pas, ça choque, ça gêne. Il y a une lente reconnaissance. Le corollaire, c'est que cette reconnaissance qui est en train de poindre s'accompagne d'une montée de l'homophobie. Cette exposition est là également pour rappeler ce à quoi peuvent mener toutes les formes de racisme. 

Justement, le Parlement hongrois vient d'interdire la diffusion d'images encourageant l'homosexualité et les répressions, notamment en Europe de l'Est des homosexuels. Est-ce que cette exposition prend un sens particulier en ce moment ?

Oui, parce qu'on se rend bien compte que le combat n'est pas terminé et que le travail d'éducation doit être permanent. Et notre travail de vigie sur tous ces sujets-là doit être permanent parce que finalement, on est confronté de manière permanente dans la société à cette forme à tous ces racismes et l'antisémitisme. Le mal qui nous guette, c'est aussi la banalisation. C'est donc contre cela que ces expositions peuvent être utiles.